
The Loch Ness
Nessie
L'être humain, qui est une créature
tenaillée par l'ennui - avouons-le,
se plaît à créer des monstres imaginaires.
Ne voyons-nous pas, dans ce paisible loch,
terrassant l'ogre délicat de Baudelaire,
s'ébattre un mutin plésiosaure ?
Il profite de la nuit assassine
pour dissimuler son corps huilé et langoureux,
dans les brumes qui s'amassent
comme un poison, au-dessus des eaux,
puis, qui s'infiltrent librement
dans les replis de nos tortueux cerveaux.
Ce cheval de mer à belle encolure,
qui renie la théorie de l'évolution
et toute parenté avec l'hippocampe,
déploie sous un éclat lunaire opportun,
l'impérieuse majesté de ses quatre nageoires
pectorales et ventrales, en forme de diamant !
Regardez comme il est fort et beau,
quand il fait tournoyer son corps massif
- de quinze tonnes,
sous l'astre des nuits écossaises,
et qu'il s'abat sur les eaux calmes du loch,
en projetant des gerbes étincelantes.
Ce visqueux compagnon aime se reposer
de ses pêches sanguinaires,
au sein de profondes cavernes sous-marines.
Après avoir satisfait ses instincts de chasseur,
il y dépèce des proies vivantes
avec le subtil raffinement du gourmet solitaire.
Quand la bête est repue de carnage et de sang,
elle ne renâcle pas à épancher son âme.
De la lyre ou du luth, s'échappent alors
des notes inspirées, plaintives ou nostalgiques
qui semblent faites pour rendre hommage
à ceux qui contribuèrent à son dernier repas.
Si un caprice vous amène à vous pâmer,
dans les eaux glacées du Ness,
songez avec le plus profond respect,
que la créature qui vous dévorera,
existe depuis 135 millions d'années,
et que pour mettre au monde son dernier représentant,
elle n'a pondu qu'un œuf depuis que l'homme est apparu...