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Re: Le Réservoir
Publié : 27 avril 2016, 15:34
par Loustic
Bravo pour l'effort sur les dialogues.
Chacun son style, mais le dialogue aère le texte et anime l'action.
C'est comme au ciné ou à la télé, on a tendance à s'endormir durant les descriptions. Dans une lecture, c'est prouvé, beaucoup lisent en travers, ou sautent carrément les longs paragraphes non dialogués. Pire, dans les bibliothèques, les lecteurs jettent un coup d’œil et négligent les bouquins trop descriptifs.
Le jeu question réponse maintien l'attention et, comme le dit Liza, nous pouvons y noyer les explications utiles à la compréhension de l'action.
Allez Dona, allez Montp' à l'attaque des dialogues... s'il vous plaît, une jolie histoire « parlante »
Re: Le Réservoir
Publié : 27 avril 2016, 22:03
par Dona
Hier, je suis montée dans le tram de la ligne 3. Impossible de s'asseoir, comme d'habitude. Je restai debout, à moitié asphyxiée par un de mes congénères qui avait une odeur particulièrement persistante sous les aisselles : un grand gaillard qui avait au moins une tête et demie de plus que moi mais bon... Je n'avais pas le choix que de rester sous sa nauséabonde épaule... il n'y avait pas possibilité de bouger. Tout le monde (surtout les voyageurs debout) soupirait : il faisait chaud, c'était la fin de la journée, on n'avait pas de place assise etc...
Une voix nous parvint. C'était un type qui parlait dans son téléphone. Il parlait très fort et de façon très animée. C'était difficile de ne pas entendre. Personne n'écoutait vraiment et même cherchait à éviter cette conversation si sonore. C'est vrai : rentrer du travail dans un tramaway bondé, entassé comme des sardines malodorantes, ça ne rend pas spécialement tolérant...
L'individu faisait des « Oh « et des « Ah » et des « Ta race » et puis aussi « Ta mère » à tout bout de champ. On ne savait pas de quoi il parlait mais ça n'avait pas l'air très drôle. Du reste, le ton est monté progressivement. En effet, ce qui s'apparentait au début à une banale conversation entre deux copains avait l'air de virer à la diatribe politico-sociale contre le gouvernement français. On se regardait tous un peu gênés... Le type gueulait vraiment fort dans son téléphone à présent. Ca créait une sorte d'angoisse diffuse... On voit tellement de faits divers affreux dans les journaux... C'est curieux comme un groupe d'inconnus se sentant menacé devient soudé en quelques secondes dès lors qu'il pressent un danger...
Pour finir, le type du téléphone a crié : « Ah bah si ça continue comme ça, je vais me casser en Syrie moi ! Je vais m'engage frère ! Commence tous à me faire chier ! »
Eh bien croyez-moi... ! Comme tous les autres voyageurs, je me suis resserrée autant que faire se peut sous l'aisselle tutélaire de mon compagnon de voyage. Ca sentait fort certes mais l'instinct grégaire a fait que je lui étais, à cet instant précis, très reconnaissante d'être là !
Le type qui voulait s'engager en Syrie est descendu à l'arrêt d'après. Quelle veine ! On s'est tous regardés, on a tous soupiré d'aise et tout le monde s'est souri et échangé des commentaires sur le gus en question... C'était chouette !
A 6 heures du soir, exténués par une journée de travail, parfumés à l'ail des aisselles des plus besogneux, brimbalés par un tramway surchargé, on peut faire des expériences collectives vraiment intéressantes !
Re: Le Réservoir
Publié : 29 avril 2016, 13:37
par Liza
Texte de DONA à la sauce Liza, je le publie à sa demande
Hier, je suis montée dans le tram de la ligne N°3. Comme d'habitude, impossible de s'asseoir. Je restai debout, à moitié asphyxiée. Un des voyageurs, un grand gaillard avec, au moins une tête et demie de plus que moi, depuis le dessous de ses aisselles répandait une odeur particulièrement persistante. Mais bon... Je n'avais guère d’autre choix j’étais coincée sous sa nauséabonde épaule... il n'y avait aucune possibilité de bouger. C’était la fin de la journée, tout le monde (surtout les voyageurs debout) soupirait : il faisait chaud, nous n’avions pas de place assise, etc....
Une voix nous parvint. C'était un type qui parlait dans son téléphone. Une forte discussion était échangée de façon particulièrement animée. Il était difficile de ne pas entendre. Personne n'écoutait réellement, toutefois le groupe où j’étais ne pouvait se soustraire à une conversation d’un tel niveau sonore. D’un autre côté, c'est vrai : rentrer du travail dans un tramway bondé, entassé comme des sardines malodorantes, ça ne rend pas spécialement tolérant...
L'individu faisait des « Oh « et des « Ah » et des « Ta race » et puis aussi « Ta mère » à toutes les réponses. On ne savait pas de quoi il parlait mais cela n'avait pas l'air très drôle. Finalement le ton est monté progressivement. Au début ce qui s'apparentait à une banale conversation entre deux copains semblait virer à la diatribe politico-sociale contre le gouvernement français. Nous nous regardions tous un peu gênés... Le type gueulait vraiment fort dans son téléphone à présent, créant une sorte d'angoisse diffuse... On lit tellement d’affreux faits divers dans les journaux... C'est curieux comme un groupe d'inconnus se sentant menacé se soude en quelques secondes, dès lors qu'il pressent un danger...
Pour finir, le type du téléphone a crié : « Eh bien ! si ça continue comme ça, je vais me casser en Syrie moi ! Je vais m'engager frère ! Commence tous à me faire chier ! »
Eh bien croyez-moi... ! Comme tous les autres voyageurs, je me suis resserrée autant que je pouvais sous l'aisselle tutélaire de mon compagnon de voyage. L’odeur était forte, certes, mais l'instinct grégaire a pris le dessus et je lui étais reconnaissante d'être là, près de moi, à cet instant précis !
Le type qui voulait s'engager en Syrie est descendu à l'arrêt suivant. Quelle aubaine ! Nous nous sommes tous regardés, en soupirant d’aise. Nous nous sommes souri et nous avons échangé des commentaires sur ce voyageur pas très net... C'était chouette !
À six heures du soir, exténués par une journée de travail, parfumés à la transpiration du labeur des aisselles des plus besogneux, brimbalés par un tramway surchargé, on peut faire des expériences collectives vraiment intéressantes ! Se méfier des a priori, l’odeur ne fait pas le pourri !
Dona
Re: Le Réservoir
Publié : 29 avril 2016, 13:56
par Dona
Oui je suis d'accord !:)
C'est juste que je conserverai "l'odeur à l'ail" des aisselles de mon voisin
Merci )
Re: Le Réservoir
Publié : 05 mai 2016, 16:32
par Dona
Un jours sans...
"Bon alors, la semaine dernière, il ne faisait pas aussi beau que ce que nous avons là.
Il faisait un temps de chien et même un froid de canard. Un temps à ne pas mettre un chat dehors... La semaine dernière, j'étais fatiguée. Une des ces fatigues pré-printanières au sortir de l'hiver quand on attend les vacances avec impatience, sachant qu'on doit travailler encore un bon moment avant de passer à cette période de loisir et qu'on vient de terminer sa cure d'oligo-éléments, inefficace contre la déprime de saison, que le coiffeur s'est encore trompé dans votre coupe, que vous avez remisé votre garde robe d'hiver alors qu'il recommence à faire très froid... bref, tout allait mal en plus des impôts qui n'allaient pas tarder. C'était un jour sans aurait dit ma grand-mère. Un jour sans joie, sans énergie, sans vitalité, voire sans but excepté celui de fournir un travail à peu près décent par pure éthique professionnelle.
Réveillée en retard, partie en retard, je me suis garée à un endroit inhabituel. Je gare toujours ma voiture à proximité du tramway. Le trajet total dure 25 minutes porte à porte. Evidemment, ce matin-là, le tram arriva au bout de l'avenue quand j'arrivai. Pour être sûre de l'attraper, je remisai ma voiture le plus près possible et je courus autant que faire se peut pour monter dedans. C'était la chose que j'allais le mieux réussir dans la journée...
Le travail se révéla exténuant, plus encore d'ordinaire. J'avoue que lorsque je pus échapper à cette cadence infernale et à ces salles pleine de bruit, de conversations et d'élèves, je me sentis mieux.
Je pris donc le tramway pour récupérer mon véhicule. Dans mes pensées et enfermée dans la migraine qui ne me quittait pas depuis quelques heures, je me souvins m'être garée à un autre endroit. Je descendis donc à la station correspondante ou du moins, c'est ce que je pensais...
Là, je cherchai un bon moment... Tout de même, mon Opel Corsa, un vieil engin des années 90 est vite repérable : cabossée latéralement, sale... Mais non, pas moyen de la retrouver. Et j'eus une illumination : « Grande nouille ! me dis-je en m'apostrophant généreusement. Ce n'est pas là ! C'est là-bas ! » Eh oui ! Beaucoup plus loin en fait ! Qu'à cela ne tienne, j'avais une petite marche de quinze minutes à faire, ça allait me permettre de m'oxygéner un peu. Je partis aussitôt dans le sens inverse en longeant le trottoir du tram. Peut-être arriverai-je à monter dans le prochain s'il arrivait avant la fin de mon trajet. J'aurais bien aimé qu'il arrive, me dis-je, au bout de quelques pas... Il faut dire que j'étais chargée comme une mule : je trimballe livres et cahiers, c'est toujours assez lourd. Et comme je levais les yeux vers le panonceau clignotant qui indique son heure d'arrivée, je vis qu'il y avait des incidents techniques sur la ligne... Ca arrive souvent … mais là, ce n'était pas de bol. Le tramway fonctionnait dans un sens … mais pas dans l'autre...
Il faisait froid, j'avais oublié mon écharpe dans le tourmente du matin, le ciel se couvrait encore...
Mon chargement était lourd, j'étais lasse et je m'accusai d'être une telle tête de linotte dans des circonstances pareilles...
Forcément, comme il arrive toujours dans ces moments-là : il se mit à pleuvoir : un petit grain glacé tout au début très vite devenu une averse diluvienne et gelée... Dès les premiers instants de cette nouvelle catastrophe (eh oui ! J'étais allée chez le coiffeur la veille!), je cherchai mon parapluie, à genoux par terre parce que je ne pouvais pas, en tenant un cartable et un sac en bandoulière (le plus lourd) chercher dans mon troisième sac (à main celui-ci), le fameux engin.
Que pensez-vous qu'il arriva ?
Eh bien... je venais d'oublier mon parapluie dans le tramway par lequel j'étais venue...
Alors, dégoulinante, glacée, épuisée, je finis par regagner mon véhicule, garée dans une rue étroite,celle-là même dont je ne m'étais pas souvenue à temps !... Bien entendu, mon rétroviseur avait été arraché par un véhicule peu scrupuleux qui l'avait croisé là. Après tout, vu la journée, pourquoi s'étonner de ce nouvel incident ?... Il fallut donc que je m'aventure à le rechercher dans toute l'impasse (il pleuvait toujours bien sûr ! Sinon, ce n'est pas drôle !...). Je retrouvai mon rétroviseur, à l'agonie, dans un caniveau en crue... inutilisable.
A bout de forces, je montai (enfin!) dans mon véhicule et rentrai chez moi. Je mis un peu de temps.. Pas facile de circuler quand il manque un organe vital de vision à votre véhicule surtout dans une ville où il y a énormément de pistes cyclables et de double-rond points carrés...
C'est un soir où je pris un potage, deux Doliprane, un bain chaud et me couchai avant même la tombée de la nuit... espérant bien que cette hygiène du soir m'amènerait vers une journée plus chanceuse le lendemain... Un jour avec... comme aurait dit ma grand-mère... !
Re: Le Réservoir
Publié : 07 mai 2016, 17:02
par Dona
Exemple :
Un gymnaste inquiétant
" Ce tramway de la ligne 3, quel catalogue d'épisodes !
Bon, cette fois-ci... c'était un homme grisonnant, plutôt de petite taille, bronzé, lunettes noires, jean, blouson serré... pas l'air commode... du tout...
C'était l'autre matin.
Dès que montai, je vis tout de suite qu'il n'y avait pas de place assise... Seulement, il y avait ce type là... qui m'a lorgnée. Et puis il s'est levé comme pour me céder sa place ! Ce n'est pas si courant que dans le tramway, on vous offre une place confort ! D'ordinaire, des jeunes gens, des jeunes filles, même des hommes plus âgés, en costume de ville, la quarantaine proprette restent assis, faisant mine de ne pas vous voir, les yeux rivés sur leurs tablettes... Et vous restez debout, à leurs côtés, désespérant de ce monde moderne où la courtoisie la plus sommaire s'en est allée...
Mais ce type, là... il s'est levé et j'ai pris sa place croyant qu'il me l'offrait. Que nenni ! J'ai bien vu en le gratifiant de mes plus beaux sourires courtois, et par une petite effusion de « Merci ! » comme il se doit... qu'il s'était levé non pas pour moi, mais pour lui.
Le bonhomme a ouvert son blouson, l'a enlevé et s'est mis tout bonnement à... faire des pompes... en se suspendant aux barres intérieures du tramway.
A grands coups de « Han ! » et « Han ! », il a affiché la force brutale de ses musculeux biceps...
Dans ces moments-là, la réaction normale des gens dans les transports en commun est de faire comme s'ils ne voyaient rien, et surtout de ne pas contrarier un type qui se met à faire quelque chose de marginal. Après tout, là, il ne faisait de mal à personne. C'est juste que cette exhibition était gênante, dérangeante dans la mesure où l'endroit était inapproprié.
Alors bon, personne ne disait rien... mais tout le monde se regardait, en coin... Tout le monde n'en pensait pas moins en fait. C'est incroyable comme le regard des gens change quand ils sentent une menace près d'eux. Un marginal ? Oui. Un dément ? Oui, est-ce pire ? Un fou dangereux ? Ca craint... L'homme était petit mais assurément costaud. Alors quoi ?
On laissa courir. Le consensus collectif allait dans ce sens : surtout ne pas le regarder, ne rien lui dire et attendre qu'il descende.
Un petit gamin, dans sa poussette tenait un petit brin de muguet dans sa menotte (on était le le 30 avril). Elle était jolie cette scène... Pendant que sa maman avait une longue conversation au téléphone avec une de ses amies (comme j'étais près d'elle, je sais... J'ai même eu droit à tous les détails de sa garde-robe qu'elle décrivit longuement à sa camarade de téléphone... Un mariage peut-être expliquait-il cette abondance de précisions au sujet de l'harmonie des couleurs bleues et blanches, de l'aspect habillé d'un sac à main qu'on devait assortir aux chaussures etc... Je vous fais grâce des informations concernant le coiffeur, l'esthéticienne, le fleuriste etc... sinon je dépasserais le format A4 – une entorse à mon règlement intérieur imposé par mon éthique de chroniqueuse du tramway nantais...). De fait donc, la maman était tournée du côté vitre, l 'oreille collée à son petit appareil et totalement absorbée par sa conversation.
L'enfant, lui, produisait des tas de petits mots amusants et son babillage était vraiment drôle :
- Qué si fé le mösieur mama ? Que si fé ? Ta pa mal au bras ? disait le petit à l'athlète de la ligne 3.
Comme sa mère était fortement occupée à décrire les impératifs de son agenda et de son habillement, je me mis à lui faire des gros yeux au petit, histoire de lui faire comprendre sans parler qu'il ne fallait surtout pas déranger le monsieur qui n'en finissait plus de montrer l'énergie extraordinaire de ses biscoteaux...
Alors, le gamin se fixa sur ma personne si bien que je commençai à lui sourire et à retrouver des singeries faciales que je faisais à mes enfants quand ils étaient petits (c'est un peu loin... mais je n'ai pas perdu la main...). Le petit se mit à rire et à rire ! Et à rire !...
- Oh ! Elle fé le glos clown la madame ! (il parlait de moi hein !) Tant et si bien que la mère finit par se tourner vers moi. Comme nos regards se croisaient (moi toute minaudante de plaisir à faire la marionnette avec son enfant, elle, le regard terriblement noir et acide), je me rendis compte du malaise que cela provoquait. Elle admettait mal que je pusse autant faire rire son enfant ! A sa manière de me regarder, j'eus même l'impression qu'elle me prenait pour un danger public... Une folle ? Une marginale ? Une kidnappeuse d'enfant ? avait-elle l'air de penser... Quelle horreur ! Je cessai immédiatement de regarder son bébé et je la vis m'adresser, avec désapprobation, un dernier regard méprisant avant de descendre du tramway. Elle n'avait rien vu des acrobaties du gymnaste qui avait inquiété tout le monde et c'est moi qu'elle semblait trouver menaçante !
Pendant ce temps-là, Athlète, qui avait fini sa gymnastique, était descendu aussi à cet arrêt-là. Si bien que, débarrassés du bébé, de la maman, du sportif dangereux, je me retrouvai avec mes congénères, eux soulagés, moi dépitée et que la journée commença par cet adage curieux et méconnu :
« Ne fais confiance à personne, pas même à toi-même !... »
ps : j'ai dépassé la page A4...
Re: Le Réservoir
Publié : 08 mai 2016, 11:01
par Montparnasse
Un jours sans...
J'aime beaucoup celle-là. Il y a du Buster Keatron dans ton histoire. L'homme (la femme) seul(e) luttant dans un environnement hostile.
Re: Le Réservoir
Publié : 08 mai 2016, 11:05
par Montparnasse
« Ne fais confiance à personne, pas même à toi-même !... »
A défaut d'admirer la séance du culturiste, j'aurais bien voulu voir une démonstration de grimaces...

Re: Le Réservoir
Publié : 09 mai 2016, 17:21
par Dona
Une église en passant...
"
Un jour - c'était la fin du mois de juin – je sillonnai le marché - immense- d'une petite commune de ma région : Ancenis. C'était l'endroit où je travaillais. J'étais professeur. Le métier peut, parfois, être désespérant (souvent, j'ai eu envie de changer d'activité professionnelle mais j'y reviens sans cesse, convaincue que mon action opiniâtre pour farcir les cervelles est ma pierre à l'édifice de la sagesse humaine... Mes idéaux grandioses sont souvent confrontés aux réalités moins célestes et c'est de cet écart que naissent souvent mes déceptions. Cependant, mon inextinguible soif d'Idéal et mon utopie permanente forment une espérance toujours nouvelle et je compose sans cesse avec les deux mondes – celui de mes aspirations profondes à la paix universelle répandue par le savoir et les livres et celui, dénutri, chétif et sauvage où il n'y pas assez de livres... mais on vous dira que j'exagère souvent beaucoup et beaucoup trop souvent !...).
Pour une fois, j'avais un peu de temps. D'ordinaire, j'étais accaparée. Ce matin-là, j'avais le droit de baguenauder à ma convenance, mes premiers cours ne commençaient qu'en début d'après-midi. Il faisait particulièrement beau et déjà chaud. C'était presque les vacances.
Je fus surprise par l'amplitude de ce marché qui déballait sur une surface impressionnante des stands entiers de légumes des maraîchers de la région, des bouchers-charcutiers traiteurs des environs, des poissonniers de proximité. Les étals traduisaient une abondance extraordinaire et tout ce petit monde bruissait des conversations habituelles et si vivantes dans ce genre d'endroit.
Les stands de vêtements étaient en surnombre mais ce n'était rien comparé aux marchands de tissu dont les rouleaux d'imprimés offraient aux yeux un incroyable nuancier de couleurs variées. Le soleil irradiait, c'était beau !
Je m'approchais, émerveillée de la petite église dont le clocher me guettait depuis le début de la promenade. Il m'avait fallu du temps pour y arriver tant la foule était dense.
Face à l'édifice, je restai bouchée bée. C'était vraiment un beau spécimen de l'art roman !
C'est à ce moment précis que retentit la musique. La musique !... C'était la musique des grandes orgues !
Une majesté particulière emplit la place du marché à l'heure même où, mêlant les cris toujours plus hauts des marchands et le vrombissement toujours plus fort des badauds, la musique sacrée de la petite église se fondit, par osmose, à la foule passante. Quel magnifique tableau ! C'était comme une des pages de Victor Hugo décrivant « Notre-Dame de Paris » : tout un peuple agité et joyeux s'agitait sous les auspices de l'église tutélaire du village. Un moment suspendu où toutes les époques de la terre se ressemblaient : les hommes se croisaient au beau milieu d'un endroit qui a, depuis toujours, consacré l'acte de socialisation entre eux tous : le marché. Les senteurs si diverses, les couleurs si variées, les bruits si nombreux, le soleil si radieux... donnaient une couleur locale si pittoresque à cet endroit que j'en restais émerveillée !
Moi qui d'ordinaire travaillait âprement dans des salles fermées à longueur de journée à enseigner les notions d'esthétique en littérature, je me retrouvais dehors, dans une mouvance pleine de vie et de joie et cette exaltation me procurait un sentiment de bien-être rarement ressenti.
Obéissant à mon goût immodéré pour les sites historiques, j'entrai dans l'église.
Il n'y avait personne bien que les vantaux de la porte centrale fussent grand ouverts. La nef résonnait de cette musique grandiose que produisent les grandes orgues.Tout résonnait de cette magie musicale qui fait considérer que les plus beaux chefs d'oeuvre de l'humanité cohabitent avec les arts les plus grâcieux à tel point qu'on finit toujours par se demander – admiratifs – de quelle manière les hommes ont pu bâtir, autrefois, des édifices aussi beaux, aussi hauts, aussi altiers et composer des musiques aussi pures que célestes. C'est le sentiment qui vient au touriste lambda dès lors que sa conscience esthétique est confrontée aux vestiges de l'Histoire : à notre époque bardée de high technology, nous admirons ce que nos ancêtres ont pu faire de leurs mains seules : bâtisseurs de cathédrales, d'aqueducs géants, artistes accomplis en peinture, en chant, en musique, génies de la peinture et de l'architecture à leurs époques qui ne connaissaient aucune des merveilles numériques et technologiques d'aujourd'hui !
C'est habitée de cette pensée que je restai ébahie, presque mystique à écouter la musique puissante, profonde et sacrée qui inondait la petite église fraîche où l'on pouvait se reposer du soleil ardent. Il me semblait que tout mon être, apaisé, comprenait enfin la valeur du mot « Beau » et qu'il ne s'embarrassait pas de toutes les définitions historiques, sociologiques, esthétiques que j'avais tant de peine à enseigner à des élèves indifférents. Le Beau est une émotion, tout simplement...
Le raisonnement intellectuel est un processus critique qui vient après l'émotion mais la valeur primale du Beau réside dans son premier effet et peut se passer de bien des analyses critiques.
Quel bonheur ! Et quelle paix spirituelle m'apportait ce concert liturgique si délectable ! J'en étais là de mes considérations esthétiques et habitée par une admiration quasi extatique quand j'entendis alors distinctement un grand fracas de voix... Et la musique s'arrêta tout de go !
- Ah non ! Quand on commence une mesure, on la finit ! Je vous l'ai dit cent fois ! Comment faut-il vous l'expliquer ? vociféra une voix de stentor au-dessus de ma tête. Il y eut un silence.
Je restai interloquée ! Le charme s'était évanoui. L'église, soudainement vidée de sa féérie musicale retentissait à présent de cette voix grondante. S'agissait-il d'un cours de musique ? Apparemment oui.
Puis de nouveau retentit la voix qui tonitrua cette fois-ci :
- Si vous ne travaillez pas vos morceaux, je refuse d'aller plus loin avec vous !
Quelques secondes plus tard, un homme dévala le petit escalier en bois et à sa mine piteuse, je vis que ce devait être la victime du discours vindicatif que je venais d'entendre. Juste après lui venait un homme à la mine furieuse qui ne cessa de l'apostropher jusqu'à ce qu'ils quittassent l'église, sans égard pour ma personne, me voyant sans me saluer.
Vraiment... quelle déveine ! Moi qui pensais avoir trouvé la sérénnité et compris enfin l'essence même de la beauté, voilà que je retombais dans les affres de la vie quotidienne... J'étais presque bouleversée de passer de l'extase à la réalité âpre qui venait de se présenter.
Je quittai finalement ce lieu si enchanteur quelques secondes plus tôt. Le ciel s'était ombragé d'une de ces couleurs d'orage.
Là, je vis ce que je n'avais pas encore vu : des gens pressés et en sueur, des gosses pleurnichards et capricieux, des mamans énervées, des marchands racoleurs et des ados boutonneux qui me heurtaient sans s'excuser... Je vins juste à remarquer les poules, les poussins, les lapins qui piaillaient à leur manière dans des cages. C'était un marché rural... Je n'aimais pas cette ambiance... Comble de malchance, je vis une fermière extirper un petit lapin avec une telle vigueur de son clapier, et ce, sans prêter la moindre attention à cette petite bête qu'elle tiraillait de partout avant de le vendre... que j'en fus horrifiée. En détournant le regard – je n'avais jamais pu supporter qu'on tyrannise les animaux – mes yeux s'arrêtèrent sur un boucher aux joues couperosées, gras et rougeaud qui tirait de ses grosses mains les entrailles du poulet qu'il était en train de vider...
Vraiment, ça ne valait pas la peine de s'extasier sur un si beau marché !... Moi qui mangeait si peu de viande par éthique écologique, c'est ulcérée que j'observai les visages grossiers des clients qui se pressaient devant son étal. Leur appétit de viande fraîche se lisait dans leurs yeux. C'était dégoûtant !
C'est totalement dépitée que je me dirigeai vers le lycée... là où dans quelques heures, la plupart de mes élèves lèveraient les yeux au ciel, déjà lassés, quand je leur vanterai les homélies de Saint-Simon ou la grandiloquence de Chateaubriand ou la caractéristique de l'hyperbole hugolienne ou... Les seules nourritures extra-terrestres que je pouvais ingérer sans indigestion ! "
Re: Le Réservoir
Publié : 16 mai 2016, 18:03
par Montparnasse
J'ai complètement oublié ce texte ! Où ai-je la tête ? C'est très bon ! Le style est limpide. Dans la première moitié, il n'y a rien à ajouter, rien à retrancher, ça coule tout seul. Tu es un grand reporter ! C'est une forme qui te convient (ainsi que la forme poétique dont tu nous prives depuis trop longtemps...).
Ton émerveillement face à la beauté architecturale, à la musique qui l'accompagne respire l'honnêteté ! Chapeau...
Une mention spéciale pour :
la musique sacrée de la petite église se fondit, par osmose, à la foule passante
Je tique seulement sur :
Tout résonnait de cette magie musicale...
What do you mean exactly ?
J'aurais aussi raboté la fin ici :
...des musiques aussi pures que célestes.
Tu devrais alléger cette fin de phrase :
la petite église fraîche où l'on pouvait se reposer du soleil ardent
"Et la musique s'arrêta tout de go !" ---> soudainement, subitement ? (pour le registre de langue)
"avec un air furieux" (pour éviter la répétition de "mine").
"
si enchanteur" (hiatus)
"Moi qui mangeait" ---> "Moi qui mangeais"
"la plupart de mes élèves lèveraient" ---> dans ce cas (à cause du sens), je crois que c'est "la plupart de mes élèves lèverait... déjà lassé"
Tu devrais virer les "ou" de la fin et conclure par "etc."
Une remarque à propos du fond. On n'accède pas au beau que par l'affect. L'Idée peur avoir aussi sa beauté (plastique), être à l'origine d'une émotion "esthétique". ----> A la recherche du temps perdu. Exemple que j'ai déjà donné, où les deux esthétiques cohabitent.
Merci pour cette offrande
