Poésies (mont)parnassiennes

En vers ou en prose !
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

(...)

Oh ! oui, je veux un jour, en des bords retirés,
Sur un riche coteau ceint de bois et de prés,
Avoir un humble toit, une source d'eau vive
Qui parle, et dans sa fuite et féconde et plaintive
Nourrisse mon verger, abreuve mes troupeaux.
Là je veux, ignorant le monde et ses travaux,
Loin du superbe ennui que l'éclat environne,
Vivre comme jadis, aux champs de Babylone,
Ont vécu, nous dit-on, ces pères des humains
Dont le nom aux autels remplit nos fastes saints ;
Avoir amis, enfants, épouse belle et sage ;
Errer, un livre en main, de bocage en bocage ;
Savourer sans remords, sans crainte, sans désirs,
Une paix dont nul bien n'égale les plaisirs.

Douce mélancolie ! aimable mensongère,
Des antres, des forêts déesse tutélaire,
Qui vient d'une insensible et charmante langueur
Saisir l'ami des champs et pénétrer son coeur,
Quand, sorti vers le soir des grottes reculées,
Il s'égare à pas lents au penchant des vallées,
Et voit des derniers feux le ciel se colorer,
Et sur les monts lointains un beau jour expirer.
Dans sa volupté sage, et pensive et muette,
Il s'assied, sur son sein laisse tomber sa tête.
Il regarde à ses pieds, dans le liquide azur
Du fleuve qui s'étend comme lui calme et pur,
Se peindre les coteaux, les toits et les feuillages,
Et la pourpre en festons couronnant les nuages.
Il revoit près de lui, tout à coup animés,
Ces fantômes si beaux, de nos coeurs tant aimés,
Dont la troupe immortelle habite sa mémoire
Julie, amante faible et tombée avec gloire ;
Clarisse, beauté sainte où respire le ciel,
Dont la douleur ignore et la haine et le fiel,
Qui souffre sans gémir, qui périt sans murmure ;
Clémentine adorée, âme céleste et pure,
Qui, parmi les rigueurs d'une injuste maison,
Ne perd point l'innocence en perdant la raison.
Mânes aux yeux charmants, vos images chéries
Accourent occuper ses belles rêveries ;
Ses yeux laissent tomber une larme. Avec vous
Il est dans vos foyers, il voit vos traits si doux.
A vos persécuteurs il reproche leur crime.
Il aime qui vous aime, il hait qui vous opprime.
Mais tout à coup il pense, ô mortels déplaisirs !
Que ces touchants objets de pleurs et de soupirs
Ne sont peut-être, hélas ! que d'aimables chimères,
De l'âme et du génie enfants imaginaires.
Il se lève, il s'agite à pas tumultueux ;
En projets enchanteurs il égare ses voeux :
Il ira le coeur plein d'une image divine,
Chercher si quelques lieux ont une Clémentine,
Et dans quelque désert, loin des regards jaloux,
La servir, l'adorer et vivre à ses genoux.

(André Chénier, 1762-1794, extrait d'Elégies, vers 1784)
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

Dona en a parlé, je crois, à propos des alcyons...

Si je ne craignais l'anachronisme, je dirais qu'il y a des inversions, des accents lizesques, dans ces vers...

La Jeune Tarentine

Pleurez, doux alcyons, ô vous, oiseaux sacrés,
Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez.
Elle a vécu, Myrto, le jeune Tarentine.
Un vaisseau la portait aux bords de Camarine.
Là l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement,
Devaient la reconduire au seuil de son amant.
Une clef vigilante a pour cette journée
Dans le cèdre enfermé sa robe d'hyménée
Et l'or dont au festin ses bras seraient parés
Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés.
Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles,
Le vent impétueux qui soufflait dans les voiles
L'enveloppe. Etonnée, et loin des matelots,
Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots.
Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine.
Son beau corps a roulé sous la vague marine.
Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher
Aux monstres dévorants eut soin de le cacher.
Par ses ordres bientôt les belles Néréides
L'élèvent au-dessus des demeures humides,
Le portent au rivage, et dans ce monument
L'ont, au cap du Zéphir, déposé mollement.
Puis de loin à grands cris appelant leurs compagnes,
Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes,
Toutes frappant leur sein, et traînant un long deuil,
Répétèrent : « Hélas ! » autour de son cercueil.
Hélas ! chez ton amant tu n'es point ramenée.
Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée.
L'or autour de tes bras n'a point serré de nœuds.
Les doux parfums n'ont point coulé sur tes cheveux.

(André Chénier, 1762-1794, Bucoliques, 1785-1787)
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Message par Montparnasse »

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La tragédienne Rachel, Elisa Félix (1821-1858)

A Ninon

Si je vous le disais pourtant, que je vous aime,
Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ?
L'amour, vous le savez, cause une peine extrême ;
C'est un mal sans pitié que vous plaignez vous-même ;
Peut-être cependant que vous m'en puniriez.

Si je vous le disais, que six mois de silence
Cachent de longs tourments et des vœux insensés :
Ninon, vous êtes fine, et votre insouciance
Se plaît, comme une fée, à deviner d'avance ;
Vous me répondriez peut-être : Je le sais.

Si je vous le disais, qu'une douce folie
A fait de moi votre ombre, et m'attache à vos pas :
Un petit air de doute et de mélancolie,
Vous le savez, Ninon, vous rend bien plus jolie ;
Peut-être diriez-vous que vous n'y croyez pas.

Si je vous le disais, que j'emporte dans l'âme
Jusques aux moindres mots de nos propos du soir :
Un regard offensé, vous le savez, madame,
Change deux yeux d'azur en deux éclairs de flamme ;
Vous me défendriez peut-être de vous voir.

Si je vous le disais, que chaque nuit je veille,
Que chaque jour je pleure et je prie à genoux ;
Ninon, quand vous riez, vous savez qu'une abeille
Prendrait pour une fleur votre bouche vermeille ;
Si je vous le disais, peut-être en ririez-vous.

Mais vous n'en saurez rien. – Je viens, sans rien en dire,
M'asseoir sous votre lampe et causer avec vous ;
Votre voix, je l'entends ; votre air, je le respire ;
Et vous pouvez douter, deviner et sourire,
Vos yeux ne verront pas de quoi m'être moins doux.

Je récolte en secret des fleurs mystérieuses :
Le soir, derrière vous, j'écoute au piano
Chanter sur le clavier vos mains harmonieuses,
Et, dans les tourbillons de nos valses joyeuses,
Je vous sens, dans mes bras, plier comme un roseau.

La nuit, quand de si loin le monde nous sépare,
Quand je rentre chez moi pour tirer mes verrous,
De mille souvenirs en jaloux je m'empare ;
Et là, seul devant Dieu, plein d'une joie avare,
J'ouvre, comme un trésor, mon cœur tout plein de vous.

J'aime, et je sais répondre avec indifférence ;
J'aime, et rien ne le dit ; j'aime, et seul je le sais ;
Et mon secret m'est cher, et chère ma souffrance ;
Et j'ai fait le serment d'aimer sans espérance,
Mais non pas sans bonheur ; – je vous vois, c'est assez.

Non, je n'étais pas né pour ce bonheur suprême,
De mourir dans vos bras et de vivre à vos pieds.
Tout me le prouve, hélas ! jusqu'à ma douleur même...
Si je vous le disais pourtant, que je vous aime,
Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ?

(Alfred de Musset, 1837)
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

Au peuple

Il te ressemble ; il est terrible et pacifique.
Il est sous l’infini le niveau magnifique ;
Il a le mouvement, il a l’immensité.
Apaisé d’un rayon et d’un souffle agité,
Tantôt c’est l’harmonie et tantôt le cri rauque.
Les monstres sont à l’aise en sa profondeur glauque ;
La trombe y germe ; il a des gouffres inconnus
D’où ceux qui l’ont bravé ne sont pas revenus ;
Sur son énormité le colosse chavire ;
Gomme toi le despote il brise le navire ;
Le fanal est sur lui comme l’esprit sur toi ;
Il foudroie, il caresse, et Dieu seul sait pourquoi ;
Sa vague, où l’on entend comme des chocs d’armures,
Emplit la sombre nuit de monstrueux murmures,
Et l’on sent que ce flot, comme toi, gouffre humain,
Ayant rugi ce soir, dévorera demain.
Son onde est une lame aussi bien que le glaive ;
Il chante un hymne immense à Vénus qui se lève ;
Sa rondeur formidable, azur universel,
Accepte en son miroir tous les astres du ciel ;
Il a la force rude et la grâce superbe ;
Il déracine un roc, il épargne un brin d’herbe ;
Il jette comme toi l’écume aux fiers sommets,
O peuple ; seulement, lui, ne trompe jamais
Quand, l’œil fixe, et debout sur sa grève sacrée,
Et pensif, on attend l’heure de sa marée.

(V. Hugo, Les Châtiments, 1853)
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

Les Eléphants

Le sable rouge est comme une mer sans limite,
Et qui flambe, muette, affaissée en son lit.
Une ondulation immobile remplit
L'horizon aux vapeurs de cuivre où l'homme habite.

Nulle vie et nul bruit. Tous les lions repus
Dorment au fond de l'antre éloigné de cent lieues,
Et la girafe boit dans les fontaines bleues,
Là-bas, sous les dattiers des panthères connus.

Pas un oiseau ne passe en fouettant de son aile
L'air épais, où circule un immense soleil.
Parfois quelque boa, chauffé dans son sommeil,
Fait onduler son dos dont l'écaille étincelle.

Tel l'espace enflammé brûle sous les cieux clairs.
Mais, tandis que tout dort aux mornes solitudes,
Les éléphants rugueux, voyageurs lents et rudes,
Vont au pays natal à travers les déserts.

D'un point de l'horizon, comme des masses brunes,
Ils viennent, soulevant la poussière, et l'on voit,
Pour ne point dévier du chemin le plus droit,
Sous leur pied large et sûr crouler au loin les dunes.

Celui qui tient la tête est un vieux chef. Son corps
Est gercé comme un tronc que le temps ronge et mine ;
Sa tête est comme un roc, et l'arc de son échine
Se voûte puissamment à ses moindres efforts.

Sans ralentir jamais et sans hâter sa marche,
Il guide au but certain ses compagnons poudreux ;
Et, creusant par-derrière un sillon sablonneux,
Les pèlerins massifs suivent leur patriarche.

L'oreille en éventail, la trompe entre les dents,
Ils cheminent, l'œil clos. Leur ventre bat et fume,
Et leur sueur dans l'air embrasé monte en brume ;
Et bourdonnent autour mille insectes ardents.

Mais qu'importent la soif et la mouche vorace,
Et le soleil cuisant leur dos noir et plissé ?
Ils rêvent en marchant du pays délaissé,
Des forêts de figuiers où s'abrita leur race.

Ils reverront le fleuve échappé des grands monts,
Où nage en mugissant l'hippopotame énorme,
Où, blanchis par la lune et projettant leur forme,
Ils descendent pour boire en écrasant les joncs.

Aussi, pleins de courage et de lenteur, ils passent
Comme une ligne noire, au sable illimité ;
Et le désert reprend son immobilité
Quand les lourds voyageurs à l'horizon s'effacent.

(Leconte de Lisle, Poèmes barbares, 1862)
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

L'Invincible

Pris sous la griffe des vautours,
Cœur meurtri que leur bec entame !
Vas-tu te plaindre d'une femme ?
Non ! je veux boire à ses amours !
Je boirai le vin et la lie,
Ô Furie aux cheveux flottants !
Pour mieux pouvoir en même temps
Trouver la haine et la folie.

Dans mon verre entouré de fleurs
S'il tombe une larme brûlante,
Rassurez ma main chancelante
Et faites-moi boire mes pleurs.
Assez de plaintes sérieuses
Quand le bourgogne a ruisselé,
Sang vermeil du raisin foulé
Par des Bacchantes furieuses.

Pour former la chaude liqueur,
Elles n'ont pas, dans leurs victoires,
Déchiré mieux les grappes noires
Qu'elle n'a déchiré mon cœur.
Amis, vous qui buvez en foule
Le poison de l'amour jaloux,
Mon cœur se brise ; enivrez-vous,
Puisque la poésie en coule !

C'est dans ce calice profond
Que l'infidèle aimait à boire :
Puisqu'au fond reste sa mémoire,
Noble vin, cache-m'en le fond !
J'y jetterai les rêveries
Et l'amour que j'avais jadis,
Comme autrefois ses mains de lys
Y jetaient des roses fleuries.

Et vous, mes yeux, que pour miroir
Prenait cette ingrate maîtresse,
Extasiez-vous dans l'ivresse
Pour lui cacher mon désespoir.
Ces lèvres, qu'elle a tant baisées,
Me trahiraient par leur pâleur ;
Je vais leur rendre leur couleur
Dans le sang des grappes brisées.

Je noierai dans ce flot divin
Le feu vivant qui me dévore.
Mais non ! Elle apparaît encore
Sous les douces pourpres du vin !
Oui, voilà sa grâce inhumaine !
Et cette coupe est une mer
D'où naît, comme du flot amer,
L'invincble, Anadyomène.

(Théodore de Banville, Le sang de la coupe, 1857)
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Liza »

Je vais porter de l'intérêt aux choses écrites... dans le temps. Moi ! qui ai horreur d'écouter avant 1980, et encore. Un comble
On ne me donne jamais rien, même pas mon âge !
 
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

J'ai découvert un auteur allemand de la fin du XVIIIème, un frère ! de part ses conceptions esthétiques. Il s'agit de Novalis (1772-1801). Je ne le connaissais pas et pourtant j'ai l'impression de lire certaines choses que j'ai écrites l'année dernière ou du moins d'y trouver une parenté très forte (Paysages, La Forêt, Madagascar II, etc.) Si vous aimez les coïncidences, je suis né en 1972, soit exactement deux siècles plus tard. :) Mais lisez plutôt :

Bientôt il arriva devant un ravin à flanc de coteau et il lui fallut escalader les pierres moussues entraînées là par quelque ancien torrent. La forêt se clairsemait à mesure qu'il grimpait et il parvint enfin à une petite prairie sur le versant de la montagne. Tout au fond se dressait une sorte de falaise à pic, au pied de laquelle il aperçut une ouverture, sans doute l'entrée d'une grotte... Elle s'enfonçait dans le roc et il y chemina sans difficulté, attiré bientôt par une vive clarté qui semblait venir d'une grande caverne, où il entra. Un puissant geyser, véritable source jaillissante, montait jusqu'à la voûte, où il se pulvérisait pour retomber en mille étincelles dans un vaste bassin. Ce jet brillait comme de l'or en fusion, mais on n'entendait aucun bruit ; un silence religieux enveloppait la splendeur de ce spectacle.
Il s'approcha de ce bassin dont les ondes chatoyaient, diaprées, multicolores. Les parois de la caverne ruisselaient de ce même liquide non point brûlant, mais glacé, qui ne laissait sur ces murailles qu'une mate lueur bleuâtre. Il trempa la main dans cette vasque, humecta ses lèvres. Aussitôt, un souffle intérieur le parcourut tout entier, le réconfortant et le désaltérant. Pris d'un irrésistible désir de se baigner, il se dévêtit et descendit dans le bassin. Il lui sembla que la pourpre du couchant l'enveloppait de toutes parts ; une sensation céleste inonda son cœur, d'innombrables pensées se pressèrent en lui avec une volupté profonde, images nouvelles, jamais contemplées, dressées comme pour se confondre et se transformer en créatures visibles. Et chaque vague de l'adorable élément se pressait contre lui comme une gorge amoureuse... Le flot paraissait fait de charmantes filles dissoutes dans l'onde, qui reprenaient leur forme dès que les effleurait le corps du jeune homme.
Ivre d'extase, mais conscient de la moindre impression, il se laissa emporter par le torrent lumineux qui, au sortir du bassin, s'engouffrait entre les rochers. Il tomba dans une douce somnolence où il rêva d'aventures indescriptibles, mais une nouvelle vision le réveilla. Il se trouvait à présent étendu sur une molle pelouse au bord d'une source qui jaillissait dans les airs et semblait s'y consumer. Non loin de là, s'élevaient des roches bleuâtres aux veines diaprées. Le jour qui l'entourait lui parut plus clair, plus doux que de coutume ; le ciel, bleu noir, était d'une pureté absolue. Mais ce qui l'attira d'une manière irrésistible, ce fut, dressé au bord même de la source, une grande Fleur d'un bleu éthéré qui l'effleurait de ses hauts pétales éclatants : autour d'elle se pressaient des milliers de fleurs de toutes les couleurs et dont les suaves parfums embaumaient l'air. Lui, ne voyait que la Fleur bleue et longtemps il la contempla avec une indicible tendresse. Mais quand il voulut enfin s'approcher d'elle, elle se mit à frémir et à changer d'aspect. Les feuilles, de plus en plus brillantes, se serraient contre la tige qui croissait à vue d'œil ; la Fleur se pencha vers lui : parmi les pétales qui formaient une sorte de collerette bleue, flottait un tendre visage...

(Novalis, Heinrich von Ofterdingen, 1801)
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

@Dona (parce qu'elle m'a rappelé un des vers de Baudelaire dans cette œuvre inachevée) et à tous ceux qui aiment les curiosités.

C'est une pièce restée à l'état de brouillon qui devait servir d'épilogue à la seconde édition des Fleurs du mal (1861) :


Tranquille comme un sage et doux comme un maudit,
J'ai dit :
Je t'aime, ô ma très belle, ô ma charmante...
Que de fois...
Tes débauches sans soif et tes amours sans âme,

Ton goût de l'infini
Qui partout, dans le mal lui-même, se proclame,
Tes bombes, tes poignards, tes victoires, tes fêtes,
Tes faubourgs mélancoliques,
Tes hôtels garnis,
Tes jardins pleins de soupirs et d'intrigues,
Tes temples vomissant la prière en musique,
Tes désespoirs d'enfant, tes jeux de vieille folle,
Tes découragements ;

Et tes feux d'artifice, éruptions de joie,
Qui font rire le Ciel, muet et ténébreux.
Ton vice vénérable étalé dans la soie,
Et ta vertu risible, au regard malheureux,
Douce, s'extasiant au luxe qu'il déploie.

Tes principes sauvés et tes lois conspuées,
Tes monuments hautains où s'accrochent les brumes,
Tes dômes de métal qu'enflamme le soleil,
Tes reines de théâtre aux voix enchanteresses,
Tes tocsins, tes canons, orchestre assourdissant,
Tes magiques pavés dressés en forteresses,

Tes petits orateurs, aux enflures baroques,
Prêchant l'amour, et puis tes égouts pleins de sang,
S'engouffrant dans l'Enfer comme des Orénoques,
Tes anges, tes bouffons neufs aux vieilles défroques.

Anges revêtus d'or, de pourpre et d'hyacinthe,
O vous, soyez témoins que j'ai fait mon devoir
Comme un parfait chimiste et comme une âme sainte.
Car j'ai de chaque chose extrait la quintessence,
J'ai pétri de la boue et j'en ai fait de l'or.
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Liza »

Un peu comme Microsoft ! Ne parlons plus de ce qui fâche. Heureusement tout n'était pas HS.

J'aime ces choses que tu trouves je ne sais où, pas dans dans mon ordi ni mon cartable en tout cas !
On ne me donne jamais rien, même pas mon âge !
 
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