La Cafetière d'or
1979
Les chaudes couleurs de sa devanture
Éclairent une rue ordinaire mais vivante.
A l'intérieur, derrière son comptoir,
Une dame, très droite, entre deux âges,
Tient la caisse avec un air sérieux et bienveillant.
Près d'elle, sa fille s'active à tout instant.
Elle est vive comme une abeille,
Petite, menue, élégante comme un oiseau.
Le percolateur trône à l'angle du comptoir,
Avec la modestie dont les Dieux se parent.
Ses chromes s'allument sous les rayons du matin
Qui percent la vitrine, et ses façades rougeoyantes
Ajoutent un cachet à son éclat phosphorique.
Aux heures d'affluence,
La machine rejette une épaisse vapeur,
En émettant un ronronnement de vieux chat
Que l'on a dérangé, et qui pour se venger,
Essaye de se donner l'apparence d'un fauve.
Une troisième personne officie en ces lieux ;
Quand le magasin est calme, ce monsieur manipule le balai
Qui doit faire place nette devant l'entrée du magasin ;
Il s'acquitte de cette tâche avec un air rêveur,
Une science obscure mais consommée,
Faisant décrire à son instrument,
Des arabesques fantaisistes.
Mais, c'est au contact de la clientèle,
Que cet homme donne toute sa mesure,
Et remplit son impérieuse fonction dans le magasin :
A toute oreille suffisamment attentive, il profère, sur le café,
Les conseils les plus avisés, des secrets ésotériques,
Qu'il est le seul à connaître.
Il est aussi en charge de surveiller
Un petit garçon, à la mine renfrognée,
Qui est assis à l'angle du comptoir, près du percolateur.
Le bambin boit dans un long verre,
Émaillé de danseuses orientales,
Un sirop délicieux.
Il mordille ce récipient selon son habitude.
L'enfant est songeur et curieux,
Habile à procéder aux expériences les plus variées,
Dans ce magasin où foisonnent tant d'objets intéressants.
Il y a par exemple, derrière le comptoir,
Plaqué le long du mur, un radiateur à eau,
Qui dispose d'un bouchon de vidange que ses doigts
Parviennent aisément à dévisser.
Lorsque cela se produit, tout ce qui se trouve
A proximité de l'appareil, est arrosé par un jet d'eau brûlant,
Mêlé de vapeur.
Non loin de là, posées directement sur le comptoir,
On trouve aussi ces grosses boîtes rectangulaires métalliques,
Rouges et noires, finement dorées,
Agrémentées de motifs asiatiques,
Qui recèlent vingt saveurs de thé différentes !
Du côté de la vitrine, il y a bien ces distributeurs
De café en grain, cubiques, qui sont venus récemment,
Et dont il faut tourner les manettes
Pour vider le contenu.
Mais l'enfant n'a pas le droit d'y toucher...
Non, ce qui capte toute l'attention
Des visiteurs du magasin,
C'est sans conteste, cette énorme machine,
Qui se trouve à gauche, près de la vitrine,
Et qui ressemble beaucoup à la partie avant
D'une locomotive à vapeur.
Cet instrument, qui n'a pas toujours été là,
Est devenu l'âme du magasin,
De par la beauté visuelle de ses chromes,
De ses armatures de métal dorés
Ou de ses façades peintes en rouge vif,
De par le bruissement des grains de café qu'il brasse,
Et le parfum lourd et pénétrant,
Que leur cuisson exhale.
L'enfant est captivé par cet objet vivant et incompréhensible.
Le travail de cette machine est un appel à la contemplation :
Les grains de café vert sont d'abord placés
Dans le grand entonnoir qui surmonte le torréfacteur,
Afin qu'ils tombent dans le tambour
Pour y subir la cuisson.
Il existe une petite pelle, que l'on appelle la carotte,
Qui s'enfonce dans le tambour,
Et qui permet de vérifier leur cuisson.
Une fois cette cuisson terminée, le tambour est ouvert,
Et les grains de café bruns, brûlants,
Descendent en cascade dans le ramasseur.
C'est un grand cylindre horizontal
Qui brasse les grains grâce à une hélice
Équipée de raclettes.
Le café sèche ensuite sous l'action d'une ventilation
Placée à la base du ramasseur.
Le dernier endroit qui intéresse l'enfant est la cave.
C'est un lieu où il tente de descendre parfois
En suivant un escalier en colimaçon.
Mais il ne peut pas dire avec certitude ce qui s'y trouve,
Ayant toujours été interrompu dans sa descente,
A un niveau quelconque de l'escalier,
Par des cris, des avertissements impérieux
En provenance du rez-de-chaussée.
Sans doute, s'y trouve-t-il quelques sacs en toile de jute
Contenant les grains de café vert
Et un bric-à-brac d'autres objets.
L'enfant se souvient seulement
Que l'air y est humide,
Sous la pression de l'atmosphère chaude et sèche
De l'étage supérieur,
Qui agit comme la flamme au sommet d'une bougie,
En rejetant l'eau sur la cire fondue.
Ce qui est certain, c'est que, pour les trois adultes
Qui animent ce paradis délicieux,
L'enfant est l'être le plus important au monde,
Et que, pour l'enfant, ils sont eux, unis ensemble,
Toute sa joie sur terre.