La Pluie
C'est une terre gorgée d'eau, battue, débordante,
Qui rejette la matière au delà de ses limites.
Elle rend à la nature tout ce qu'elle lui a donné
Sous l'action d'une averse continue
Qui la traverse, la dissout,
La draine sans pitié depuis mille ans.
Le végétal rincé se délite,
Les feuilles ruissellent et se vident de leurs âmes,
Les fleurs sont laminées ;
Elles projettent vers le sol
Leurs corolles sanglantes en forme de parapluie.
La pluie abat ses rideaux de fumée sur la rivière en crue,
Et l'arbre terrifié s'accroche à la berge qui fuit,
A la terre qui se dérobe autour de ses racines,
Et s'érode profondément.
Il agite ses branches vers un ciel morne,
Qui le prive de véritable lumière.
Sur ses feuilles, perlent des gouttes meurtrières :
Elles ruissellent sur ses bras,
Se fondent les unes avec les autres.
A leur surface, apparaît le reflet inversé d'un monde
Qui sombre sous toutes les intensités de l'assassin :
C'est l'ondée imprévue, le grain venu de la mer,
L'orage d'été, le violent coup de tabac ou la tempête tropicale.
Limace et limaçon promènent leurs cadavres
Dans l'herbe submergée
Qui s'épanche en d'interminables cours d'eau.
Des grenouilles pétrifiées flottent sur le dos,
Et exhibe leur ventre jaune
Au milieu des brindilles qui surnagent.
L'araignée s'est noyée, mais sa toile,
Constellée de pluie, a résisté ;
Elle attend, inutile prison, la proie qui a disparu.
La colère de Zeus est sans appel.
Charriée dans un torrent de boue,
La terre abreuve l'atmosphère
De son odeur âcre de décomposition.
Elle exhale ses cadavres, indifférente,
Sous un cataclysme violent
Ou sous une pluie fine et traversière.
Le fleuve qui sort de son lit,
Parachève l'œuvre destructrice ;
Il concasse tous les arbres qui ont résisté au déluge,
Forgeant d'infernales béliers, qui brisent, dans un son rauque,
Tous les obstacles qui se dressent devant lui.