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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 26 décembre 2016, 20:04
par Montparnasse
Ce n'est pas moi, c'est lui, et sa forme immortelle qui nous rendent visite et nous parlent d'outre-tombe. « Oui, maître, j'ai fait ce que vous m'avez demandé. » Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Non non, Liza, ne te sauve pas !

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 26 décembre 2016, 20:09
par Liza
C'est toi qui me donnes l'envie de lire avec ces extraits. En temps ordinaire, je ne fais pas dans les vieilleries, fussent-elles magnifiques !

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 26 décembre 2016, 21:42
par Montparnasse
Le XIXème ? Mais c'est hier. Les gens étaient comme nous. Ils portaient simplement de grands chapeaux et se déplaçaient en calèche. Récemment, je me suis penché sur la biographie des rois Sigebert Ier et Chilpéric Ier, de leurs terribles épouses Brunehaut et Frédégonde. Ca, c'est vieux ! C'est moyenâgeux. Au passage, leurs mœurs barbares (2 ou 3 assassinats dans la même famille) ne sont pas plus terribles que nos guerres et leurs millions de victimes.

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 27 décembre 2016, 19:00
par Montparnasse
Aujourd'hui, voici ce qu'on appelle familièrement un « client » : Pierre Mac Orlan. Il part pour la Grande Guerre en 1914, se bat en Lorraine, en Artois, à Verdun et dans la Somme. Correspondant de guerre en Allemagne. Auteur du « Quai des brumes » adapté par M. Carné. Il meurt à 87 ans.


Tel était Paris avec sa grande tour où, chaque nuit, crépite la chevelure bleue de la T.S.F.
et ses étincelles qui laissent sur le mur de la nuit
des traces d'allumettes chimiques ;
avec ses vieux meubles en pierre de taille,
ses parapets où les suicidés bleus et roses
font des rétablissements sur les poignets
et ratent leur numéro ;
avec son grand cirque où le public descend sur la piste,
où les femmes, folles de l'odeur des chevaux,
jaillissent du Moulin Rouge
comme les grains d'une grenade aux muqueuses amarante.
Et maintenant que les minutes nous échappent
en fine poussière,
maintenant que nous les serrons de toute la force de nos doigts,
Paris dresse sa tour
ainsi qu'une grande girafe inquiète,
sa tour
qui, le soir venu,
craint les fantômes
et promène dans tous les coins les jets de ses projecteurs
transformant le ciel parisien en une épure adroitement lavée.
Et l'Arc de Triomphe n'est plus qu'un petit banc
où Tamerlan en vareuse kaki
rêve de reboucler ses leggins.
Et l'étudiante attentive hésite
entre le Bouic ou la Sorbonne,
non pour le plaisir de se faire remarquer,
mais afin de passer inaperçue,
le temps de terminer son livre.
Oh Paris !
Ici la reine Dactylo
se mêle comme l'eau tiède au vin généreux des hommes.
Les petites filles d'autrefois
qui rêvaient du Prince d'Annam,
en traversant les bois peuplés de satyres médiocres,
ne voient plus,
sur la route tendre de leur avenir en fleurs,
que le bonheur industriel
qu'elles pourront créer de leurs dix doigts
sur l'Underwood
d'où sortira la circulaire
qui arrêtera, encore une fois, le sang de nos artères
et le tic tac familier de la montre ou du cœur.

Si nous regrettons un coin paisible : c'est l'étuve
où Colin de Cayeux jargonnait le jobelin,
où Jacquot de la Mer meurtrissait les fillettes
où Jean d'Arras affirmait : « Menys vous chante... » ;
c'est La Courtille où les tonnelles sentaient le raisin sur,
où les Gardes-Françaises remouchaient Petit-Louis
(dit Cartouche) baisant, le soir, en godinette
les lèvres parisiennes de Madame Bourguignon ;
c'est le dangereux passé de notre vieille Europe
déballant ses trésors charmants et surannés
sous le pied délicat des gousses patriotes
que les révolutions chassent de leurs foyers.

Ainsi c'est pour la gloire des filles cérébrales ;
celles de Berlin W.,
celles de la Cinquième Avenue,
celles qui, à peine nubiles, fréquentent Hyde-Park
pour des spasmes à cran d'arrêt ;
ainsi c'est pour la gloire des femmes de Paris
dont l'éducation paraissait si raisonnable
c'est pour la reine des abeilles sur l'Europe régnant
qu'un soir de printemps, au bord de la route de Béthune,
sous un ciel noir d'âmes de Parpaillots fanatiques,
quand les obus se répandaient comme des cruches de feu,
que nous avancions, ô Agrippa d'Aubigné ! fantômes parmi les morts
à la conquête d'un vieil arbre tragique
figurant un gibet avec une âme d'enfant.
Les morts déculottés dans l'eau des fossés de la route
craignaient les mains des fossoyeurs de l'Epoque Elisabeth,
La nature sans femmes gardait sa dignité.
Une fille, une seule fille égarée, morte, dans cette bagarre
et la route de Béthune n'était plus qu'une foire saccagée.

Dans ces conditions,
à d'autres de faire le militaire.
Retournons à la source de tant d'émotions...
les maisons de la rue ancienne et familière,
comme les conscrits de village,
arborent à leurs chapeaux des numéros géants.
Mais, le soir, au bord de l'eau, tous leurs feux allumés,
Les maisons lèvent l'ancre pour la grande course nocturne,
(tangage à domicile et roulis)
Madame à la passerelle, autoritaire et souriante,
rappelle ces dames à leurs postes de combat.
Et la petite veilleuse intime
qui, dans notre tête, met un peu de la lumière de l'enfer
tout doucement se ranime.
A quel havre, Seigneur, irons-nous aborder !

(Pierre Mac Orlan, 1882-1970)

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 27 décembre 2016, 19:09
par Montparnasse
Un' bell' dam' vint à passer, tournez les gros sous
république, empire au plus profond de la poche ;
sur le fleuve de vos yeux, l'étoile ricoche
et le soleil est un décime en cuivre roux.

Un' bell' dam' vint à passer en triples croches
au coup d'archet parmi les bocks et les sirops
et les flons-flons avec des plumes au chapeau
toutes ses dents, et les deux mains sur le sein gauche.

N'irons-nous plus au bar cueillir les prétentaines
carguons la nef, l'aiguille au cœur, la voile aux yeux
la barque frêle a vent d'espoir sur les flots bleus.

Comme un long sanglot d'orgue hydraulique et chrétien
avec nos sous coiffés de leur bonnet phrygien
Un' bell' dam' vint à passer sur le gazon des plaines.

(Pierre Mac Orlan, 1882-1970)

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 28 décembre 2016, 18:44
par Montparnasse
Quatrième pièce condamnée en 1857.


LESBOS

Mère des jeux latins et des voluptés grecques,
Lesbos, où les baisers, languissants ou joyeux,
Chauds comme les soleils, frais comme les pastèques,
Font l’ornement des nuits et des jours glorieux ;
Mère des jeux latins et des voluptés grecques,

Lesbos, où les baisers sont comme les cascades
Qui se jettent sans peur dans les gouffres sans fonds,
Et courent, sanglotant et gloussant par saccades,
Orageux et secrets, fourmillants et profonds ;
Lesbos, où les baisers sont comme les cascades !

Lesbos, où les Phrynés l’une l’autre s’attirent,
Où jamais un soupir ne resta sans écho,
À l’égal de Paphos les étoiles t’admirent,
Et Vénus à bon droit peut jalouser Sapho !
Lesbos, où les Phrynés l’une l’autre s’attirent,

Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses,
Qui font qu’à leurs miroirs, stérile volupté !
Les filles aux yeux creux, de leur corps amoureuses,
Caressent les fruits mûrs de leur nubilité ;
Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses,

Laisse du vieux Platon se froncer l’œil austère ;
Tu tires ton pardon de l’excès des baisers,
Reine du doux empire, aimable et noble terre,
Et des raffinements toujours inépuisés.
Laisse du vieux Platon se froncer l’œil austère.

Tu tires ton pardon de l’éternel martyre,
Infligé sans relâche aux cœurs ambitieux,
Qu’attire loin de nous le radieux sourire
Entrevu vaguement au bord des autres cieux !
Tu tires ton pardon de l’éternel martyre !

Qui des Dieux osera, Lesbos, être ton juge
Et condamner ton front pâli dans les travaux,
Si ses balances d’or n’ont pesé le déluge
De larmes qu’à la mer ont versé tes ruisseaux ?
Qui des Dieux osera, Lesbos, être ton juge ?

Que nous veulent les lois du juste et de l’injuste ?
Vierges au cœur sublime, honneur de l’archipel,
Votre religion comme une autre est auguste,
Et l’amour se rira de l’Enfer et du Ciel !
Que nous veulent les lois du juste et de l’injuste ?

Car Lesbos entre tous m’a choisi sur la terre
Pour chanter le secret de ses vierges en fleurs,
Et je fus dès l’enfance admis au noir mystère
Des rires effrénés mêlés aux sombres pleurs ;
Car Lesbos entre tous m’a choisi sur la terre.

Et depuis lors je veille au sommet de Leucate,
Comme une sentinelle à l’œil perçant et sûr,
Qui guette nuit et jour brick, tartane ou frégate,
Dont les formes au loin frissonnent dans l’azur ;
Et depuis lors je veille au sommet de Leucate

Pour savoir si la mer est indulgente et bonne,
Et parmi les sanglots dont le roc retentit
Un soir ramènera vers Lesbos, qui pardonne,
Le cadavre adoré de Sapho, qui partit
Pour savoir si la mer est indulgente et bonne !

De la mâle Sapho, l’amante et le poëte,
Plus belle que Vénus par ses mornes pâleurs !
— L’œil d’azur est vaincu par l’œil noir que tachète
Le cercle ténébreux tracé par les douleurs
De la mâle Sapho, l’amante et le poëte !

— Plus belle que Vénus se dressant sur le monde
Et versant les trésors de sa sérénité
Et le rayonnement de sa jeunesse blonde
Sur le vieil Océan de sa fille enchanté ;
Plus belle que Vénus se dressant sur le monde !

— De Sapho qui mourut le jour de son blasphème,
Quand, insultant le rite et le culte inventé,
Elle fit son beau corps la pâture suprême
D’un brutal dont l’orgueil punit l’impiété
De celle qui mourut le jour de son blasphème.

Et c’est depuis ce temps que Lesbos se lamente,
Et, malgré les honneurs que lui rend l’univers,
S’enivre chaque nuit du cri de la tourmente
Que poussent vers les cieux ses rivages déserts !
Et c’est depuis ce temps que Lesbos se lamente !

(C. Baudelaire, Les Epaves, 1866)


Notes

Lesbos, Paphos : îles grecques
Phryné : Nom d'une célèbre courtisane grecque.
Sapho : Poétesse grecque de Lesbos (VIIème - VIème siècle avant J.-C.)
Brick : Voiliers à deux mâts.
Tartane : Petit navire de la Méditerranée utilisé pour la pêche et le cabotage.

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 29 décembre 2016, 19:13
par Montparnasse
Un rat est venu dans ma chambre.
Il a rongé la chandelle.
Il a fait trembler la table branlante,
Et renversé le pot à bière.
Je l'ai pris dans mes bras blancs.
Il était chaud comme un enfant.
Je l'ai bercé tendrement
Et je lui chantais doucement :
« Dors mon rat, mon petit flic, mon petit agent
« Oh ! ne m'arrête pas ce soir, sous la lune.
« Ferme les yeux quand je serai là avec mon amant. »

(Pierre Mac Orlan, 1882-1970)

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 29 décembre 2016, 19:41
par Montparnasse
Cinquième pièce frappée d'une condamnation en 1857. L'un des sommets du recueil. A classer parmi les cinq plus beaux poèmes de Baudelaire. Les juges qui l'ont condamnée pour des raisons morales n'étaient a priori pas des esthètes. Parmi la Société des gens de lettres ayant demandé la réhabilitation de l'œuvre en 1949, il s'en est trouvé un qui s'y opposa, sans doute pour faire prévaloir une dernière fois la morale sur l'art.
Ce poème est parmi les plus beaux jamais écrit parce qu'il est simple (contrairement à Lesbos), et que la simplicité et la beauté sont sœurs dans leur éternité.



FEMMES DAMNÉES

DELPHINE ET HIPPOLYTE

À la pâle clarté des lampes languissantes,
Sur de profonds coussins tout imprégnés d’odeur,
Hippolyte rêvait aux caresses puissantes
Qui levaient le rideau de sa jeune candeur.

Elle cherchait, d’un œil troublé par la tempête,
De sa naïveté le ciel déjà lointain,
Ainsi qu’un voyageur qui retourne la tête
Vers les horizons bleus dépassés le matin.

De ses yeux amortis les paresseuses larmes,
L’air brisé, la stupeur, la morne volupté,
Ses bras vaincus, jetés comme de vaines armes,
Tout servait, tout parait sa fragile beauté.

Étendue à ses pieds, calme et pleine de joie,
Delphine la couvait avec des yeux ardents,
Comme un animal fort qui surveille une proie,
Après l’avoir d’abord marquée avec les dents.

Beauté forte à genoux devant la beauté frêle,
Superbe, elle humait voluptueusement
Le vin de son triomphe, et s’allongeait vers elle,
Comme pour recueillir un doux remercîment.

Elle cherchait dans l’œil de sa pâle victime
Le cantique muet que chante le plaisir,
Et cette gratitude infinie et sublime
Qui sort de la paupière ainsi qu’un long soupir.

— « Hippolyte, cher cœur, que dis-tu de ces choses ?
Comprends-tu maintenant qu’il ne faut pas offrir
L’holocauste sacré de tes premières roses
Aux souffles violents qui pourraient les flétrir ?

Mes baisers sont légers comme ces éphémères
Qui caressent le soir les grands lacs transparents,
Et ceux de ton amant creuseront leurs ornières
Comme des chariots ou des socs déchirants ;

Ils passeront sur toi comme un lourd attelage
De chevaux et de bœufs aux sabots sans pitié…
Hippolyte, ô ma sœur ! tourne donc ton visage,
Toi, mon âme et mon cœur, mon tout et ma moitié,

Tourne vers moi tes yeux pleins d’azur et d’étoiles !
Pour un de ces regards charmants, baume divin,
Des plaisirs plus obscurs je lèverai les voiles
Et je t’endormirai dans un rêve sans fin ! »

Mais Hippolyte alors, levant sa jeune tête :
— « Je ne suis point ingrate et ne me repens pas,
Ma Delphine, je souffre et je suis inquiète,
Comme après un nocturne et terrible repas.

Je sens fondre sur moi de lourdes épouvantes
Et de noirs bataillons de fantômes épars,
Qui veulent me conduire en des routes mouvantes
Qu’un horizon sanglant ferme de toutes parts.

Avons-nous donc commis une action étrange ?
Explique, si tu peux, mon trouble et mon effroi :
Je frissonne de peur quand tu me dis : « Mon ange ! »
Et cependant je sens ma bouche aller vers toi.

Ne me regarde pas ainsi, toi, ma pensée !
Toi que j’aime à jamais, ma sœur d’élection,
Quand même tu serais une embûche dressée
Et le commencement de ma perdition ! »

Delphine secouant sa crinière tragique,
Et comme trépignant sur le trépied de fer,
L’œil fatal, répondit d’une voix despotique :
— « Qui donc devant l’amour ose parler d’enfer ?

Maudit soit à jamais le rêveur inutile
Qui voulut le premier, dans sa stupidité,
S’éprenant d’un problème insoluble et stérile,
Aux choses de l’amour mêler l’honnêteté !

Celui qui veut unir dans un accord mystique
L’ombre avec la chaleur, la nuit avec le jour,
Ne chauffera jamais son corps paralytique
À ce rouge soleil que l’on nomme l’amour !

Va, si tu veux, chercher un fiancé stupide ;
Cours offrir un cœur vierge à ses cruels baisers ;
Et, pleine de remords et d’horreur, et livide,
Tu me rapporteras tes seins stigmatisés…

On ne peut ici-bas contenter qu’un seul maître ! »
Mais l’enfant, épanchant une immense douleur,
Cria soudain : « — Je sens s’élargir dans mon être
Un abîme béant ; cet abîme est mon cœur !

Brûlant comme un volcan, profond comme le vide !
Rien ne rassasiera ce monstre gémissant
Et ne rafraîchira la soif de l’Euménide
Qui, la torche à la main, le brûle jusqu’au sang.

Que nos rideaux fermés nous séparent du monde,
Et que la lassitude amène le repos !
Je veux m’anéantir dans ta gorge profonde
Et trouver sur ton sein la fraîcheur des tombeaux ! »

— Descendez, descendez, lamentables victimes,
Descendez le chemin de l’enfer éternel !
Plongez au plus profond du gouffre, où tous les crimes,
Flagellés par un vent qui ne vient pas du ciel,

Bouillonnent pêle-mêle avec un bruit d’orage.
Ombres folles, courez au but de vos désirs ;
Jamais vous ne pourrez assouvir votre rage,
Et votre châtiment naîtra de vos plaisirs.

Jamais un rayon frais n’éclaira vos cavernes ;
Par les fentes des murs des miasmes fiévreux
Filtrent en s’enflammant ainsi que des lanternes
Et pénètrent vos corps de leurs parfums affreux.

L’âpre stérilité de votre jouissance
Altère votre soif et roidit votre peau,
Et le vent furibond de la concupiscence
Fait claquer votre chair ainsi qu’un vieux drapeau.

Loin des peuples vivants, errantes, condamnées,
À travers les déserts courez comme les loups ;
Faites votre destin, âmes désordonnées,
Et fuyez l’infini que vous portez en vous !

(C. Baudelaire, Les Epaves, 1866)


Note

Euménide : [Littré] (Mythologie) Furie.

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 30 décembre 2016, 16:41
par Montparnasse
AUBE

J’ai embrassé l’aube d’été.

Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.

La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.

Je ris au wasserfall qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.

Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. À la grand’ville, elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et, courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.

En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois.

Au réveil, il était midi.

(A. Rimbaud, Illuminations)

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 30 décembre 2016, 16:43
par Montparnasse
FLEURS

D’un gradin d’or, — parmi les cordons de soie, les gazes grises, les velours verts et les disques de cristal qui noircissent comme du bronze au soleil, — je vois la digitale s’ouvrir sur un tapis de filigranes d’argent, d’yeux et de chevelures.

Des pièces d’or jaune semées sur l’agate, des piliers d’acajou supportant un dôme d’émeraudes, des bouquets de satin blanc et de fines verges de rubis entourent la rose d’eau.

Tels qu’un dieu aux énormes yeux bleus et aux formes de neige, la mer et le ciel attirent aux terrasses de marbre la foule des jeunes et fortes roses.

(A. Rimbaud, Illuminations)