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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 30 décembre 2016, 21:16
par Liza
Aurai-je tant de retard dans la lecture ? Eh, peut-être, j'ai écrit !

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 30 décembre 2016, 22:21
par Montparnasse
Où en es-tu ? J'ai suivi mon rythme habituel : deux poèmes courts ou un seul plus long. Lis Baudelaire, le reste est accessoire. Oui, je suis de parti pris... (smile)

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 31 décembre 2016, 18:45
par Montparnasse
Celle-ci a été épargnée par la justice. Je donne la version de 1861.


FEMMES DAMNÉES

Comme un bétail pensif sur le sable couchées,
Elles tournent leurs yeux vers l’horizon des mers,
Et leurs pieds se cherchant et leurs mains rapprochées
Ont de douces langueurs et des frissons amers.

Les unes, cœurs épris des longues confidences,
Dans le fond des bosquets où jasent les ruisseaux,
Vont épelant l’amour des craintives enfances
Et creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux ;

D’autres, comme des sœurs, marchent lentes et graves
À travers les rochers pleins d’apparitions,
Où saint Antoine a vu surgir comme des laves
Les seins nus et pourprés de ses tentations ;

Il en est, aux lueurs des résines croulantes,
Qui dans le creux muet des vieux antres païens
T’appellent au secours de leurs fièvres hurlantes,
Ô Bacchus, endormeur des remords anciens !

Et d’autres, dont la gorge aime les scapulaires,
Qui, recélant un fouet sous leurs longs vêtements,
Mêlent, dans le bois sombre et les nuits solitaires,
L’écume du plaisir aux larmes des tourments.

Ô vierges, ô démons, ô monstres, ô martyres,
De la réalité grands esprits contempteurs,
Chercheuses d’infini, dévotes et satyres,
Tantôt pleines de cris, tantôt pleines de pleurs,

Vous que dans votre enfer mon âme a poursuivies,
Pauvres sœurs, je vous aime autant que je vous plains,
Pour vos mornes douleurs, vos soifs inassouvies,
Et les urnes d’amour dont vos grands cœurs sont pleins !

(C. Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1861)


Notes

Scapulaire : (Rare) Vêtement de certains religieux, fait de deux larges bandes d'étoffe, tombant des épaules sur la poitrine et sur le dos.
Contempteur : Personne qui méprise, dénigre (quelqu'un, quelque chose).

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 31 décembre 2016, 22:55
par Montparnasse
LA FONTAINE DE SANG

Il me semble parfois que mon sang coule à flots,
Ainsi qu’une fontaine aux rhythmiques sanglots.
Je l’entends bien qui coule avec un long murmure,
Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.

À travers la cité, comme dans un champ clos,
Il s’en va, transformant les pavés en îlots,
Désaltérant la soif de chaque créature,
Et partout colorant en rouge la nature.

J’ai demandé souvent à des vins captieux
D’endormir pour un jour la terreur qui me mine ;
Le vin rend l’œil plus clair et l’oreille plus fine !

J’ai cherché dans l’amour un sommeil oublieux ;
Mais l’amour n’est pour moi qu’un matelas d’aiguilles
Fait pour donner à boire à ces cruelles filles !

(C. Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1861)

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 02 janvier 2017, 14:05
par Liza
« captieux » a le sens trompeur.

« capiteux » a le sens enivrant. C'est bien celà ?

Des graphies proches arriventà le faire douter.

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 02 janvier 2017, 14:15
par Liza
Amarante : D'une couleur rouge bordeaux, par analogie aux fleurs de la plante.
Donc adjectif : de la couleur de l'amarante, donc invariable. Je me disais aussi !

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 02 janvier 2017, 16:10
par Montparnasse
Liza a écrit :« captieux » a le sens trompeur.

« capiteux » a le sens enivrant. C'est bien celà ?

Des graphies proches arrivent à me faire douter.
Captieux : Qui tend, sous des apparences de vérité, à surprendre, à induire en erreur.

Capiteux : Qui monte à la tête, qui échauffe les sens.

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 02 janvier 2017, 16:11
par Montparnasse
Liza a écrit :Amarante : D'une couleur rouge bordeaux, par analogie aux fleurs de la plante.
Donc adjectif : de la couleur de l'amarante, donc invariable. Je me disais aussi !
Oui c'est ça.

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 02 janvier 2017, 19:11
par Montparnasse
ALLÉGORIE

C’est une femme belle et de riche encolure,
Qui laisse dans son vin traîner sa chevelure.
Les griffes de l’amour, les poisons du tripot,
Tout glisse et tout s’émousse au granit de sa peau.
Elle rit à la Mort et nargue la Débauche,
Ces monstres dont la main, qui toujours gratte et fauche,
Dans ses jeux destructeurs a pourtant respecté
De ce corps ferme et droit la rude majesté.
Elle marche en déesse et repose en sultane ;
Elle a dans le plaisir la foi mahométane,
Et dans ses bras ouverts, que remplissent ses seins,
Elle appelle des yeux la race des humains.
Elle croit, elle sait, cette vierge inféconde
Et pourtant nécessaire à la marche du monde,
Que la beauté du corps est un sublime don
Qui de toute infamie arrache le pardon.
Elle ignore l’Enfer comme le Purgatoire,
Et quand l’heure viendra d’entrer dans la Nuit noire,
Elle regardera la face de la Mort,
Ainsi qu’un nouveau-né, — sans haine et sans remord.

(C. Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1861)

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 02 janvier 2017, 19:14
par Montparnasse
Celui-ci a déjà le parfum des Petits Poèmes en prose :


LA BÉATRICE

Dans des terrains cendreux, calcinés, sans verdure,
Comme je me plaignais un jour à la nature,
Et que de ma pensée, en vaguant au hasard,
J’aiguisais lentement sur mon cœur le poignard,
Je vis en plein midi descendre sur ma tête
Un nuage funèbre et gros d’une tempête,
Qui portait un troupeau de démons vicieux,
Semblables à des nains cruels et curieux.
À me considérer froidement ils se mirent,
Et, comme des passants sur un fou qu’ils admirent,
Je les entendis rire et chuchoter entre eux,
En échangeant maint signe et maint clignement d’yeux :

— « Contemplons à loisir cette caricature
Et cette ombre d’Hamlet imitant sa posture,
Le regard indécis et les cheveux au vent.
N’est-ce pas grand’pitié de voir ce bon vivant,
Ce gueux, cet histrion en vacances, ce drôle,
Parce qu’il sait jouer artistement son rôle,
Vouloir intéresser au chant de ses douleurs
Les aigles, les grillons, les ruisseaux et les fleurs,
Et même à nous, auteurs de ces vieilles rubriques,
Réciter en hurlant ses tirades publiques ? »

J’aurais pu (mon orgueil aussi haut que les monts
Domine la nuée et le cri des démons)
Détourner simplement ma tête souveraine,
Si je n’eusse pas vu parmi leur troupe obscène,
Crime qui n’a pas fait chanceler le soleil !
La reine de mon cœur au regard nonpareil,
Qui riait avec eux de ma sombre détresse
Et leur versait parfois quelque sale caresse.

(C. Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1861)