Sentiments de poche
Publié : 15 avril 2016, 10:44
Sentiments de poche
Deux sœurs discutent assises au bas de l’escalier. Romane a quatorze ans. Lola, sa petite sœur, enfin deux centimètres, c’est peu, en a onze. La cadette a surpris l'aînée enlacée par un garçon.
— Tu ne dis pas à maman que tu m’as vue avec William, insiste Romane, tu me l’as promis. Si tu en parles, je t’étripe !
— Je te coupe en deux, tu veux dire, je fais du judo, moi !
— Je suis plus grande, j’aurai le dessus, insiste Romane.
— Que dalle, tu es plus âgée de trois ans et à peine deux centimètres de plus. Tu vas grandir, moi aussi. Toute ta vie, nous serons séparées par ces deux centimètres.
— Tu as promis, répète Romane.
— Je l’ai promis, c’est vrai, mais ce ne sera pas gratuit.
— Tu veux encore que je fasse ton lit durant une semaine ? soupire Romane.
— Trop simple ! s’amuse Lola.
— Que vas-tu inventer pour m’enquiquiner, ce n’est pas drôle d’être ta sœur.
— Je ne suis pas inventive… tu feras mes devoirs de maths tout le mois !
Romane prend un air indigné, puis hausse les épaules en signe de résignation.
— Je ne peux pas refuser toutefois, tu me le paieras ! J’en ai marre de faire les corvées gratuitement !
— Tu fais des corvées gratos ? s’étonne Lola.
— Eh ! Toi aussi ! Nous aidons maman au ménage, aux courses, et beaucoup d’autres choses, le tout pour un salaire de misère.
— C’est vrai, vingt euros d’argent de poche, ce n’est pas cher payer pour un mois entier.
— Nous devrions protester, se révolte Romane.
— Bonne idée, on y va !
Les filles foncent vers le salon où leur mère feuillette un magazine et, pleine de courage, le défi dans le regard, Romane lance :
— Maman, il faut que nous parlions d’argent. Nous sommes exploitées comme au Moyen Âge.
— Ah ! Allez les filles, je vous écoute.
Toutes deux se lancent dans une longue litanie détaillant les travaux qu’elles accomplissent depuis toujours pour le montant d’un argent de poche qu’elles trouvent dérisoire. La maman écoute avec un sérieux surprenant, malgré la gravité du sujet, elle est prête à rire.
— Et j’en oublie certainement, affirme Lola. Alors tu nous augmentes ?
— Combien vous dois-je, au vu de tout cela ?
— Au moins trente euros, propose Romane, croyant la partie gagnée.
— Et moi qui va me payer ? s’offusque la mère avec une indignation non feinte.
— Toi, mais pourquoi ? s’étonne Lola.
— Pour toutes les couches que j’ai changées. Les doudous perdus que j’ai cherchés. Les maladies infantiles que j’ai soignées, vos larmes que j’ai séchées, vos disputes que j’ai arbitrées. Vos devoirs que j’ai fait entrer dans vos têtes avec difficulté. Les nuits sans sommeil, par vos pleurs, engendrées. Mes inquiétudes d’hier et, encore celles d’aujourd’hui, lorsque vous passez chez une copine sans m’en informer. Le souci que je me fais pour vous préparer un avenir assuré. Enfin, tout ce que je vous ai donné depuis que vous êtes nées. Combien allez-vous me payer ?
Romane pleurniche, Lola a les larmes aux yeux. Elles auraient dû se taire, l’égoïsme est un trait de caractère qui peut déplaire.
— En remboursement de tout ce que tu as sacrifié pour notre jeunesse et supporté par nos faiblesses, tu gardes notre argent, tu le mérites plus que nous, nous n’y avions pas pensé, conclut Romane, le cœur chamboulé.
Attirant ses filles contre elle, la maman les rassure.
— Ne craignez rien, tout est déjà payé !
— Ah ! Qui a payé ? questionnent les filles d’une seule voix.
— Les baisers, les câlins, les sourires, le bonheur, la tendresse et la joie et tout ce que vous m’avez donné tout au long de ces années. Sans compter les jolis colliers de nouilles de la fête des Mères, les belles cartes d’anniversaire que vous m’avez naïvement dessinées. La joie de vous voir vivre, évoluer, le plaisir de vous aimer et tout ce qui fait que chaque matin mon cœur vibre pour les filles de ma vie, ces fruits dorés de mon amour pour votre père, un tourbillon effaçant nos repères. Vous êtes tout ce qui tient nos cœurs en équilibre. Depuis votre naissance, papa et moi, nous vivons des jours de liesse, loin de la tristesse. Que serions-nous sans vous, sans enfants nous vivrions dans l’ennui ? Parfois nous faisons preuve d’autorité, c’est parce que nous y sommes obligés, l’avenir appartient aux instruits. La vie n’est pas tendre, il ne faut pas s’y méprendre. Rassurez-vous, c’est nous qui vous devons un porte-monnaie plein de bons moments. Vingt euros par mois est une rente, une mensualité en viager pour vous apprendre à économiser. L’argent n’achète jamais les sentiments, rien n’a de prix entre parents et enfants. Pour les payer, toute la richesse du monde n’y suffirait.
Liza
Deux sœurs discutent assises au bas de l’escalier. Romane a quatorze ans. Lola, sa petite sœur, enfin deux centimètres, c’est peu, en a onze. La cadette a surpris l'aînée enlacée par un garçon.
— Tu ne dis pas à maman que tu m’as vue avec William, insiste Romane, tu me l’as promis. Si tu en parles, je t’étripe !
— Je te coupe en deux, tu veux dire, je fais du judo, moi !
— Je suis plus grande, j’aurai le dessus, insiste Romane.
— Que dalle, tu es plus âgée de trois ans et à peine deux centimètres de plus. Tu vas grandir, moi aussi. Toute ta vie, nous serons séparées par ces deux centimètres.
— Tu as promis, répète Romane.
— Je l’ai promis, c’est vrai, mais ce ne sera pas gratuit.
— Tu veux encore que je fasse ton lit durant une semaine ? soupire Romane.
— Trop simple ! s’amuse Lola.
— Que vas-tu inventer pour m’enquiquiner, ce n’est pas drôle d’être ta sœur.
— Je ne suis pas inventive… tu feras mes devoirs de maths tout le mois !
Romane prend un air indigné, puis hausse les épaules en signe de résignation.
— Je ne peux pas refuser toutefois, tu me le paieras ! J’en ai marre de faire les corvées gratuitement !
— Tu fais des corvées gratos ? s’étonne Lola.
— Eh ! Toi aussi ! Nous aidons maman au ménage, aux courses, et beaucoup d’autres choses, le tout pour un salaire de misère.
— C’est vrai, vingt euros d’argent de poche, ce n’est pas cher payer pour un mois entier.
— Nous devrions protester, se révolte Romane.
— Bonne idée, on y va !
Les filles foncent vers le salon où leur mère feuillette un magazine et, pleine de courage, le défi dans le regard, Romane lance :
— Maman, il faut que nous parlions d’argent. Nous sommes exploitées comme au Moyen Âge.
— Ah ! Allez les filles, je vous écoute.
Toutes deux se lancent dans une longue litanie détaillant les travaux qu’elles accomplissent depuis toujours pour le montant d’un argent de poche qu’elles trouvent dérisoire. La maman écoute avec un sérieux surprenant, malgré la gravité du sujet, elle est prête à rire.
— Et j’en oublie certainement, affirme Lola. Alors tu nous augmentes ?
— Combien vous dois-je, au vu de tout cela ?
— Au moins trente euros, propose Romane, croyant la partie gagnée.
— Et moi qui va me payer ? s’offusque la mère avec une indignation non feinte.
— Toi, mais pourquoi ? s’étonne Lola.
— Pour toutes les couches que j’ai changées. Les doudous perdus que j’ai cherchés. Les maladies infantiles que j’ai soignées, vos larmes que j’ai séchées, vos disputes que j’ai arbitrées. Vos devoirs que j’ai fait entrer dans vos têtes avec difficulté. Les nuits sans sommeil, par vos pleurs, engendrées. Mes inquiétudes d’hier et, encore celles d’aujourd’hui, lorsque vous passez chez une copine sans m’en informer. Le souci que je me fais pour vous préparer un avenir assuré. Enfin, tout ce que je vous ai donné depuis que vous êtes nées. Combien allez-vous me payer ?
Romane pleurniche, Lola a les larmes aux yeux. Elles auraient dû se taire, l’égoïsme est un trait de caractère qui peut déplaire.
— En remboursement de tout ce que tu as sacrifié pour notre jeunesse et supporté par nos faiblesses, tu gardes notre argent, tu le mérites plus que nous, nous n’y avions pas pensé, conclut Romane, le cœur chamboulé.
Attirant ses filles contre elle, la maman les rassure.
— Ne craignez rien, tout est déjà payé !
— Ah ! Qui a payé ? questionnent les filles d’une seule voix.
— Les baisers, les câlins, les sourires, le bonheur, la tendresse et la joie et tout ce que vous m’avez donné tout au long de ces années. Sans compter les jolis colliers de nouilles de la fête des Mères, les belles cartes d’anniversaire que vous m’avez naïvement dessinées. La joie de vous voir vivre, évoluer, le plaisir de vous aimer et tout ce qui fait que chaque matin mon cœur vibre pour les filles de ma vie, ces fruits dorés de mon amour pour votre père, un tourbillon effaçant nos repères. Vous êtes tout ce qui tient nos cœurs en équilibre. Depuis votre naissance, papa et moi, nous vivons des jours de liesse, loin de la tristesse. Que serions-nous sans vous, sans enfants nous vivrions dans l’ennui ? Parfois nous faisons preuve d’autorité, c’est parce que nous y sommes obligés, l’avenir appartient aux instruits. La vie n’est pas tendre, il ne faut pas s’y méprendre. Rassurez-vous, c’est nous qui vous devons un porte-monnaie plein de bons moments. Vingt euros par mois est une rente, une mensualité en viager pour vous apprendre à économiser. L’argent n’achète jamais les sentiments, rien n’a de prix entre parents et enfants. Pour les payer, toute la richesse du monde n’y suffirait.
Liza