Le grand départ
Publié : 06 juin 2016, 23:41
Comme d’habitude, j’étais en avance. Je décidai de tuer le temps en buvant un petit noir au café des deux tours. J’avais une vue imprenable dont je ne pris réellement conscience qu’en déchiffrant avec effarement l’addition : cinq euros dix pour un café et un croissant !
Pas de doute, je payais la vue ; alors autant en profiter. J’examinai Notre-Dame sous toutes les coutures : rosace, arcboutants, clocher, gargouilles, je n’en perdais pas une miette. Une petite voix interrompit ma rêverie : « Pardon Monsieur, vous avez l’heure ? ». Machinalement, mon regard se porta vers ma montre et je répondis d’un ton aimable : « Neuf heures vingt ».
La petite voix s’exclama alors : « Neuf heures vingt ! Dépêchez-vous les filles ! Nous sommes sacrément à la bourre ! ». Curieusement, la voix semblait provenir d’en bas. Je regardai enfin dans sa direction et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir sur le trottoir une petite gargouille en plastique avec deux valises, suivie d’une dizaine de ses congénères ! Elles venaient visiblement du magasin de souvenirs voisin, et elles n’étaient pas les seules. De toutes les boutiques du quartier s’échappait une ménagerie made in Taiwan qui convergeait vers Notre-Dame.
Je levai alors les yeux vers les tours. Là-haut c’était le branle-bas de combat. Toutes les gargouilles de pierre s’étaient animées et trottaient en tous sens. Entendons-nous bien : ce n’était pas une course erratique ou désordonnée ; chaque gargouille avait quelque chose de précis à faire et s’y attelait avec célérité. D’aucunes tiraient des câbles entre les clochers et les contreforts. D’autres y fixaient de grandes voiles. Certaines avaient entrepris de remonter les arcboutants comme on lèverait une ancre. Pendant ce temps là, les fidèles affolés évacuaient les lieux en courant. Je ne sais pas ce qui se passait à l’intérieur, mais cela semblait très impressionnant. Les petites gargouilles en plastique grimpaient le long des murs en s’aidant de dizaines de petites échelles de cordes que leurs congénères minérales leur lançaient.
Il en restait encore quelques unes à terre lorsque, à la faveur d’un coup de vent, Notre-Dame commença à décoller. « Mais enfin ! », criai-je à une grosse gargouille qui aidait à la manœuvre, « Pourquoi partez-vous ? ». Elle me toisa d’un regard dédaigneux : « C’est un peu tard pour se poser la question, jeune homme ! Voilà des siècles qu’on vous observe : vous n’avez rien compris. Alors on vous laisse tomber. » Sur ces entrefaites, les voiles se gonflèrent et Notre-Dame prit de l’altitude.
J’entendis alors un grand bruit qui provenait d’un peu plus loin sur la droite. C’était la tour Saint-Jacques qui décollait comme une fusée, en arrachant ses échafaudages. Le garçon de café pointa un autre objet dans le ciel : « Regardez, c’est Saint-Eustache. Comme elle a fière allure ! » Il disait cela comme s’il s’était agit de la chose la plus naturelle au Monde. Je trouvai pour ma part tout ce tintamarre des plus déroutants, mais je n’étais pas au bout de mes surprises.
Je vis tout d’abord défiler au pas de course toute la statuaire du Louvre. Je notai au passage que ce n’est pas parce qu’on n’a pas de bras qu’on ne court pas vite. Mais le pompon, ce fut tout de même quand le pont de l’Alma passa en rase-mottes au dessus du toit de l’Hôtel de ville, avec son zouave en guise de figure de proue qui tendait les bras au ciel, en hurlant à qui voulait l’entendre qu’il était le Roi du Monde.
Avouez tout de même que ce ne sont pas des manières !
Je m’étais avancé plus loin dans la rue pour observer tout ce manège. Je décidai de retourner m’abriter dans le café quand le Sacré-Cœur évita de peu une collision aérienne avec la Sainte-Chapelle.
Je fis un signe au patron :« Bon, c’est pas tout ça, mais on ne va tout de même pas se laisser abattre ! Remettez m’en donc un petit. Et faites un effort sur le prix, car la vue a sensiblement perdu de son intérêt. »
Pas de doute, je payais la vue ; alors autant en profiter. J’examinai Notre-Dame sous toutes les coutures : rosace, arcboutants, clocher, gargouilles, je n’en perdais pas une miette. Une petite voix interrompit ma rêverie : « Pardon Monsieur, vous avez l’heure ? ». Machinalement, mon regard se porta vers ma montre et je répondis d’un ton aimable : « Neuf heures vingt ».
La petite voix s’exclama alors : « Neuf heures vingt ! Dépêchez-vous les filles ! Nous sommes sacrément à la bourre ! ». Curieusement, la voix semblait provenir d’en bas. Je regardai enfin dans sa direction et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir sur le trottoir une petite gargouille en plastique avec deux valises, suivie d’une dizaine de ses congénères ! Elles venaient visiblement du magasin de souvenirs voisin, et elles n’étaient pas les seules. De toutes les boutiques du quartier s’échappait une ménagerie made in Taiwan qui convergeait vers Notre-Dame.
Je levai alors les yeux vers les tours. Là-haut c’était le branle-bas de combat. Toutes les gargouilles de pierre s’étaient animées et trottaient en tous sens. Entendons-nous bien : ce n’était pas une course erratique ou désordonnée ; chaque gargouille avait quelque chose de précis à faire et s’y attelait avec célérité. D’aucunes tiraient des câbles entre les clochers et les contreforts. D’autres y fixaient de grandes voiles. Certaines avaient entrepris de remonter les arcboutants comme on lèverait une ancre. Pendant ce temps là, les fidèles affolés évacuaient les lieux en courant. Je ne sais pas ce qui se passait à l’intérieur, mais cela semblait très impressionnant. Les petites gargouilles en plastique grimpaient le long des murs en s’aidant de dizaines de petites échelles de cordes que leurs congénères minérales leur lançaient.
Il en restait encore quelques unes à terre lorsque, à la faveur d’un coup de vent, Notre-Dame commença à décoller. « Mais enfin ! », criai-je à une grosse gargouille qui aidait à la manœuvre, « Pourquoi partez-vous ? ». Elle me toisa d’un regard dédaigneux : « C’est un peu tard pour se poser la question, jeune homme ! Voilà des siècles qu’on vous observe : vous n’avez rien compris. Alors on vous laisse tomber. » Sur ces entrefaites, les voiles se gonflèrent et Notre-Dame prit de l’altitude.
J’entendis alors un grand bruit qui provenait d’un peu plus loin sur la droite. C’était la tour Saint-Jacques qui décollait comme une fusée, en arrachant ses échafaudages. Le garçon de café pointa un autre objet dans le ciel : « Regardez, c’est Saint-Eustache. Comme elle a fière allure ! » Il disait cela comme s’il s’était agit de la chose la plus naturelle au Monde. Je trouvai pour ma part tout ce tintamarre des plus déroutants, mais je n’étais pas au bout de mes surprises.
Je vis tout d’abord défiler au pas de course toute la statuaire du Louvre. Je notai au passage que ce n’est pas parce qu’on n’a pas de bras qu’on ne court pas vite. Mais le pompon, ce fut tout de même quand le pont de l’Alma passa en rase-mottes au dessus du toit de l’Hôtel de ville, avec son zouave en guise de figure de proue qui tendait les bras au ciel, en hurlant à qui voulait l’entendre qu’il était le Roi du Monde.
Avouez tout de même que ce ne sont pas des manières !
Je m’étais avancé plus loin dans la rue pour observer tout ce manège. Je décidai de retourner m’abriter dans le café quand le Sacré-Cœur évita de peu une collision aérienne avec la Sainte-Chapelle.
Je fis un signe au patron :« Bon, c’est pas tout ça, mais on ne va tout de même pas se laisser abattre ! Remettez m’en donc un petit. Et faites un effort sur le prix, car la vue a sensiblement perdu de son intérêt. »
