Les villes dont on ne revient pas : errances à M.
Publié : 14 juin 2016, 08:03
Je descendis du train. Sur le quai de la gare, en plein air, s’alignaient une demi-douzaine de bancs métalliques peints en vert. Un grand M. doré ornait chacun d’entre eux. Personne n’était assis dessus.
Étant l’unique passager à avoir quitté le train, je me retrouvai donc seul. Un vent chaud faisait valser les feuilles d’automne et les redistribuait au gré de son tempérament capricieux. Je relevai le col de mon caban pour me protéger du vent et je m’assis sur un banc. Devant moi, le train quittait la gare dans un vacarme assourdissant de grincements et de vapeur vive.
oooOooo
Le train est parti. Je suis vraiment seul à présent. Plongée dans la poche droite de mon manteau, ma main joue avec une feuille de papier froissée. Sans cette lettre que les caprices du destin ont portée jusqu’à moi, je ne serais probablement jamais venu dans cet endroit oublié du Monde. Juste quelques mots, soigneusement agencés…
Monsieur,
J’admire beaucoup votre œuvre et je souhaite ardemment vous rencontrer. Je serais heureuse de vous recevoir dans la ville de M., 23 impasse des frontières.
Quelle œuvre ? Je n’ai jamais rien écrit. Qui est cette mystérieuse admiratrice ?
Le banc vert bouteille n’est plus qu’un souvenir. Je marche à présent dans les rues sombres de M., à la recherche de cette improbable impasse. Pas de plan. Pas une âme qui vive pour m’indiquer mon chemin. Je lève les yeux pour repérer le nom de la rue où je me trouve : allée du temps.
Mais je suis déjà passé par là ! Je tourne en rond !
A côté du petit panneau en lettres blanches sur fond bleu qui porte le nom de la rue, j’aperçois un reflet dans une haute fenêtre : une fontaine, au milieu d’une clairière boueuse.
Comment est-ce possible ?
Dans une autre fenêtre, sur la maison d’en face, c’est la basilique de Constantinople. Plus je descends dans la rue, plus ces reflets m’atteignent. Ici un désert rocailleux, là un lac gelé, un banc vert sur le quai d’une gare. Je connais ces lieux. J’y suis passé autrefois. Mais je vois aussi des scènes étranges, des palais scintillants, des batailles épiques, des tours de magiciens. Je les connais aussi. Je les ai aussi visités.
oooOooo
Quand je serai perdu, quand je serai noyé au sein de tous ces reflets, quand j’aurai compris que je suis incapable de faire la différence entre les reflets de ma mémoire et ceux de mon imaginaire, je trouverai l’impasse.
Derrières les fenêtres du numéro 23, je verrai un homme barbu à lunettes penché sur un cahier, griffonnant à la hâte ligne après ligne. Il lèvera alors les yeux vers moi et il me dira : « Entre, je t’attendais ».
Étant l’unique passager à avoir quitté le train, je me retrouvai donc seul. Un vent chaud faisait valser les feuilles d’automne et les redistribuait au gré de son tempérament capricieux. Je relevai le col de mon caban pour me protéger du vent et je m’assis sur un banc. Devant moi, le train quittait la gare dans un vacarme assourdissant de grincements et de vapeur vive.
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Le train est parti. Je suis vraiment seul à présent. Plongée dans la poche droite de mon manteau, ma main joue avec une feuille de papier froissée. Sans cette lettre que les caprices du destin ont portée jusqu’à moi, je ne serais probablement jamais venu dans cet endroit oublié du Monde. Juste quelques mots, soigneusement agencés…
Monsieur,
J’admire beaucoup votre œuvre et je souhaite ardemment vous rencontrer. Je serais heureuse de vous recevoir dans la ville de M., 23 impasse des frontières.
Quelle œuvre ? Je n’ai jamais rien écrit. Qui est cette mystérieuse admiratrice ?
Le banc vert bouteille n’est plus qu’un souvenir. Je marche à présent dans les rues sombres de M., à la recherche de cette improbable impasse. Pas de plan. Pas une âme qui vive pour m’indiquer mon chemin. Je lève les yeux pour repérer le nom de la rue où je me trouve : allée du temps.
Mais je suis déjà passé par là ! Je tourne en rond !
A côté du petit panneau en lettres blanches sur fond bleu qui porte le nom de la rue, j’aperçois un reflet dans une haute fenêtre : une fontaine, au milieu d’une clairière boueuse.
Comment est-ce possible ?
Dans une autre fenêtre, sur la maison d’en face, c’est la basilique de Constantinople. Plus je descends dans la rue, plus ces reflets m’atteignent. Ici un désert rocailleux, là un lac gelé, un banc vert sur le quai d’une gare. Je connais ces lieux. J’y suis passé autrefois. Mais je vois aussi des scènes étranges, des palais scintillants, des batailles épiques, des tours de magiciens. Je les connais aussi. Je les ai aussi visités.
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Quand je serai perdu, quand je serai noyé au sein de tous ces reflets, quand j’aurai compris que je suis incapable de faire la différence entre les reflets de ma mémoire et ceux de mon imaginaire, je trouverai l’impasse.
Derrières les fenêtres du numéro 23, je verrai un homme barbu à lunettes penché sur un cahier, griffonnant à la hâte ligne après ligne. Il lèvera alors les yeux vers moi et il me dira : « Entre, je t’attendais ».