Les villes dont on ne revient pas : Sables
Publié : 18 juin 2016, 07:46
Cap au nord. Marcher encore. Le soleil moribond bien calé dans l’œil gauche. Une dernière lampée d’eau dans ma gourde plate et râpeuse.
Il y a trois jours -une éternité- les bédouins de la caravane m’ont mis sur la piste de l’oasis d’Al’Sher, avec pour tout viatique cette outre gorgée d’eau précieuse et la bénédiction d’Allah le très bienveillant et très miséricordieux.
Seigneur, ta bénédiction je l’ai perdue en chemin ! Le sablier de ma vie est bientôt vide. J’ai foulé au pied chacun de ses grains à la recherche d’un lieu qui n’existe sans doute que dans mon imagination enfiévrée. L’eau aussi ne sera bientôt plus qu’un rêve. Loin à gauche, le feu du ciel darde ses dernières flèches rougeoyantes avant de mourir. La mort est douce quand on sait renaître.
Garder le cap.
Ce qu'il me reste à vivre, je ne le compte pas en jours ou en heures, je le compte en dunes. Une, deux ou trois, combien avant de m’écrouler ? Le vent d’Est se lève et lance à l’assaut de mon corps mille et mille soldats de silice. Ils s’infiltrent dans mes narines, mes oreilles, entre mes lèvres craquelées.
Marcher encore.
Autour de moi, le désert semble s’animer. Comme l’eau qui frémit à l’idée d’accueillir le thé du partage. Mais le frémissement ne survit qu’un instant. Il cède vite la place à une colère palpitante. Les dunes, pareilles à des panses de chameaux, s’enflent et se dégonflent en faisant chanter le sable.
Je ne marche plus.
Un palais de silice jaillit devant moi dans un déferlement de hurlements minéraux. Il prend forme sous mes yeux : des arches élégantes, des tours élancées partent conquérir le ciel. Tout autour de moi, villas et palais naissent du désert. Leurs architectures audacieuses prennent vie au mépris de la mienne. Un réseau de passerelles délicates se tisse entre eux et les relie en une toile mortelle. Des escaliers infinis dont les premières marches naissent dans le sable semblent m’inviter vers un nouveau destin. Mais je n’ai plus la force d’avancer.
Alors, le palais de sable s’ouvre tel un écrin pour libérer sa perle.
Tu es née du désert. Ta peau ocre irradie la chaleur, et le vent qui t’apporte m’enivre de musc et de cannelle. Alors que tu t’approches de moi, impudique et franche, ton souffle brûlant réveille mon vieux corps. Tu ne dis rien, mais ton regard est riche de cent contes de destins perdus. Je saisis ta main tendue. Tu viens te plaquer contre moi et tes pieds commencent à s’animer au rythme de mon cœur. Je me laisse entraîner dans ta sarabande, dans une transe tournoyante au centre d’une ville sans fin. Ta chevelure noire ondule aux quatre vents et défie le temps comme la barbe du derviche. Je virevolte avec toi, mon corps toujours collé au tien. Nos pieds s’enfoncent dans le sable, mais tu luttes pour tourner encore.
Je t’accompagne, te soutiens, t’encourage même. Nous luttons ensemble.
Nous tournons encore.
Le sable gagne sur nos jambes, mais nous tournons encore.
Il engloutit mes genoux, me happe jusqu’à la taille, mais nous tournons encore.
Rien ne nous arrêtera.
Alors je comprends que tu es venue me chercher.
Tourner encore.
Je te souris enfin.
Tourner encore.
Mon dernier regard sera pour toi.
Tourner encore.
Mon dernier souffle
sera de
pierre.
Il y a trois jours -une éternité- les bédouins de la caravane m’ont mis sur la piste de l’oasis d’Al’Sher, avec pour tout viatique cette outre gorgée d’eau précieuse et la bénédiction d’Allah le très bienveillant et très miséricordieux.
Seigneur, ta bénédiction je l’ai perdue en chemin ! Le sablier de ma vie est bientôt vide. J’ai foulé au pied chacun de ses grains à la recherche d’un lieu qui n’existe sans doute que dans mon imagination enfiévrée. L’eau aussi ne sera bientôt plus qu’un rêve. Loin à gauche, le feu du ciel darde ses dernières flèches rougeoyantes avant de mourir. La mort est douce quand on sait renaître.
Garder le cap.
Ce qu'il me reste à vivre, je ne le compte pas en jours ou en heures, je le compte en dunes. Une, deux ou trois, combien avant de m’écrouler ? Le vent d’Est se lève et lance à l’assaut de mon corps mille et mille soldats de silice. Ils s’infiltrent dans mes narines, mes oreilles, entre mes lèvres craquelées.
Marcher encore.
Autour de moi, le désert semble s’animer. Comme l’eau qui frémit à l’idée d’accueillir le thé du partage. Mais le frémissement ne survit qu’un instant. Il cède vite la place à une colère palpitante. Les dunes, pareilles à des panses de chameaux, s’enflent et se dégonflent en faisant chanter le sable.
Je ne marche plus.
Un palais de silice jaillit devant moi dans un déferlement de hurlements minéraux. Il prend forme sous mes yeux : des arches élégantes, des tours élancées partent conquérir le ciel. Tout autour de moi, villas et palais naissent du désert. Leurs architectures audacieuses prennent vie au mépris de la mienne. Un réseau de passerelles délicates se tisse entre eux et les relie en une toile mortelle. Des escaliers infinis dont les premières marches naissent dans le sable semblent m’inviter vers un nouveau destin. Mais je n’ai plus la force d’avancer.
Alors, le palais de sable s’ouvre tel un écrin pour libérer sa perle.
Tu es née du désert. Ta peau ocre irradie la chaleur, et le vent qui t’apporte m’enivre de musc et de cannelle. Alors que tu t’approches de moi, impudique et franche, ton souffle brûlant réveille mon vieux corps. Tu ne dis rien, mais ton regard est riche de cent contes de destins perdus. Je saisis ta main tendue. Tu viens te plaquer contre moi et tes pieds commencent à s’animer au rythme de mon cœur. Je me laisse entraîner dans ta sarabande, dans une transe tournoyante au centre d’une ville sans fin. Ta chevelure noire ondule aux quatre vents et défie le temps comme la barbe du derviche. Je virevolte avec toi, mon corps toujours collé au tien. Nos pieds s’enfoncent dans le sable, mais tu luttes pour tourner encore.
Je t’accompagne, te soutiens, t’encourage même. Nous luttons ensemble.
Nous tournons encore.
Le sable gagne sur nos jambes, mais nous tournons encore.
Il engloutit mes genoux, me happe jusqu’à la taille, mais nous tournons encore.
Rien ne nous arrêtera.
Alors je comprends que tu es venue me chercher.
Tourner encore.
Je te souris enfin.
Tourner encore.
Mon dernier regard sera pour toi.
Tourner encore.
Mon dernier souffle
sera de
pierre.