Le marais
Publié : 16 juillet 2016, 15:27
Le marais
Luc avait besoin d’une photo de cigognes pour un dépliant ventant une animation du Parc des marais. Pas loin, des ruines sont colonisées par de ces Alsaciennes d’envergure. Je ne déroge pas à la règle, plus on dit que ce n’est pas un endroit pour moi, plus j’ai envie d’y aller, peut-être mon avidité de connaître me rend-elle pire que les autres !
Durant le chemin interminable et très cahoteux, Luc m’a conté l’histoire de ce vieux château situé au milieu d’un marais qui s’emplit d’eau lors des grandes marées ou de fortes pluies. En ce moment, lîmes et pâturages sont à sec et l’endroit sert de pique-nique aux chevaux. Et pas n’importe lesquels, ce sont des chevaux à pattes fines, des bêtes de course. Autrefois, grâce à cet isolement et sa cour close par de hauts murs, c’était un camp de nudistes. Aujourd’hui, seules quelques parties surgissent des ruines.
Arrivés au bout du chemin, une barrière cadenassée plus haute que moi, constituée de rectangles en tube trop serrés pour me permettre de me glisser au travers. J’ai dû l’escalader sous les rires moqueurs de Luc.
— Liza ne fait pas le clown, tu es filmée !
Il essaie de me faire marcher, cela ne prend plus. Filmée à deux kilomètres de la civilisation, il est bien naïf d’imaginer que je vais y croire.
— Cause toujours, je ne te crois plus. Tu as trop abusé !
— Comme tu veux, Désiré va rigoler en voyant la pin-up faire le singe sur sa barrière. À dix mètres, il y a une éolienne pour pomper l’eau qui abreuve les animaux.
— Eh alors, j’entends les grincements ! On voit mon reflet dans l’abreuvoir ?
— Non, le mât supporte une caméra alimentée par un capteur solaire qui enregistre sur une carte SD.
— En plein milieu de nulle part ?
— En plein milieu de nulle part, c’est ce qui justifie son existence. Il y a eu des vols de chevaux. Désiré compte ses carcans tous les jours, s’il venait à en manquer un, il aurait la vidéo.
— Je me rends, il y a… peut-être une caméra !
L’obstacle franchi nous avons progressé dans un champ au sol irrégulier. J’avais à peine chaud avec en short et un débardeur.
— Voilà l’endroit idéal, affirme Luc, en plus, un couple de cigognes est au nid. Ce cierge de pierre, couronné par le nid c’est exactement l’image dont j’ai besoin, il ajoute.
Nous nous sommes allongés dans les broussailles pas très loin d’une colonne tenant debout par miracle au milieu des éboulis. Je n’osais protester, la réponse était trop prévue « je t’avais prévenu, il ne fallait pas venir ! ».
— Tu fais trois ou quatre clic-clac et nous partons, ce n’est pas très confortable, dis-je.
— Il faut attendre, les bestioles nous snobent et nous tournent royalement les dos. Elles vont finir par bouger !
Vaine attente, le couple ne nous montera pas autre chose qu’une paire de trous de balle emplumés. Couchés dans les buissons, avec les brindilles me rentrant dans la peau, bouffée par les fourmis, piqué par les orties je trouvais le temps long. La patience de Luc est plus longue à éteindre que la mienne, sa peau marque facilement, pour éviter les bleus, il est habillé comme au sport d’hiver, avec manches longues et tout.
— Nous allons faire le tour de l’autre côté en espérant qu’un autre couple sera plus coopératif. Allez debout ! on y va !
Je suis contente, c’est la fin du calvaire ! Pensez-vous, les choses-là s'arrangent dans Les malheurs de Sophie, dans les malheurs de Liza, c’est plus compliqué.
Je me suis levée heureuse de changer de position et paf, mes cheveux se sont enturbannés dans une branche. Et pas n’importe laquelle, celle qui donne de jolies fleurs blanches le long des routes au début du printemps, de l’aubépine m’a-t-on dit. Ici pas de fleur, vous avez vu les épines de ces trucs : fines comme une aiguille et longues de deux centimètres et demi ! Impossible de démêler ma tignasse, Luc a coupé la branche pour désemberlificoter à la maison.
Vers la sortie du champ j’entendais un bruit de moteur. Ici le gazole ne doit pas être cher, il n’est pas rare d’entendre un tracteur tourner au ralenti durant plus d’une heure, le temps pour son conducteur de prendre une bolée de cidre.
— Tu as de la chance, Désiré est là, tu n’auras pas à enjamber la barrière pour sortir du clos.
Je n’ai pas eu le temps de me réjouir, Luc me présentait à l’homme en lui précisant notre enjambeuse intrusion.
— Pour une fois, je vais échapper à la clôture vide sur la carte, il y aura autre chose à voir. Tu es très mignonne, je vais changer la SD, je te montrerai à la famille, mon garçon va aimer !
Encore un menteur qui se fiche de moi ! Coiffée à la diable, une branche d’épines dans les cheveux en guise de pince à crocs ou de couronne de martyre, des brindilles collées partout sur moi, sans doute la peau grêlée des plaques de rougeur dues aux fourmis et aux orties, le pauvre homme ! Sa famille va cauchemarder plusieurs nuits sur cette rencontre avec l’épouvantail du marais !
Finalement, nous avons contourné la ruine pour rien, les bestioles étaient hors de portée d’objectif et dispersées. Tant pis pour les cigognes locales, nous avons trois ou quatre photos de trous de balle, fructueuse attente. Luc va acheter une photo à l’agence Sigma.
Crois-moi, lorsque l’on te dit que ce n’est pas un endroit pour toi, n’insiste pas, c’est certainement vrai !
Liza
Luc avait besoin d’une photo de cigognes pour un dépliant ventant une animation du Parc des marais. Pas loin, des ruines sont colonisées par de ces Alsaciennes d’envergure. Je ne déroge pas à la règle, plus on dit que ce n’est pas un endroit pour moi, plus j’ai envie d’y aller, peut-être mon avidité de connaître me rend-elle pire que les autres !
Durant le chemin interminable et très cahoteux, Luc m’a conté l’histoire de ce vieux château situé au milieu d’un marais qui s’emplit d’eau lors des grandes marées ou de fortes pluies. En ce moment, lîmes et pâturages sont à sec et l’endroit sert de pique-nique aux chevaux. Et pas n’importe lesquels, ce sont des chevaux à pattes fines, des bêtes de course. Autrefois, grâce à cet isolement et sa cour close par de hauts murs, c’était un camp de nudistes. Aujourd’hui, seules quelques parties surgissent des ruines.
Arrivés au bout du chemin, une barrière cadenassée plus haute que moi, constituée de rectangles en tube trop serrés pour me permettre de me glisser au travers. J’ai dû l’escalader sous les rires moqueurs de Luc.
— Liza ne fait pas le clown, tu es filmée !
Il essaie de me faire marcher, cela ne prend plus. Filmée à deux kilomètres de la civilisation, il est bien naïf d’imaginer que je vais y croire.
— Cause toujours, je ne te crois plus. Tu as trop abusé !
— Comme tu veux, Désiré va rigoler en voyant la pin-up faire le singe sur sa barrière. À dix mètres, il y a une éolienne pour pomper l’eau qui abreuve les animaux.
— Eh alors, j’entends les grincements ! On voit mon reflet dans l’abreuvoir ?
— Non, le mât supporte une caméra alimentée par un capteur solaire qui enregistre sur une carte SD.
— En plein milieu de nulle part ?
— En plein milieu de nulle part, c’est ce qui justifie son existence. Il y a eu des vols de chevaux. Désiré compte ses carcans tous les jours, s’il venait à en manquer un, il aurait la vidéo.
— Je me rends, il y a… peut-être une caméra !
L’obstacle franchi nous avons progressé dans un champ au sol irrégulier. J’avais à peine chaud avec en short et un débardeur.
— Voilà l’endroit idéal, affirme Luc, en plus, un couple de cigognes est au nid. Ce cierge de pierre, couronné par le nid c’est exactement l’image dont j’ai besoin, il ajoute.
Nous nous sommes allongés dans les broussailles pas très loin d’une colonne tenant debout par miracle au milieu des éboulis. Je n’osais protester, la réponse était trop prévue « je t’avais prévenu, il ne fallait pas venir ! ».
— Tu fais trois ou quatre clic-clac et nous partons, ce n’est pas très confortable, dis-je.
— Il faut attendre, les bestioles nous snobent et nous tournent royalement les dos. Elles vont finir par bouger !
Vaine attente, le couple ne nous montera pas autre chose qu’une paire de trous de balle emplumés. Couchés dans les buissons, avec les brindilles me rentrant dans la peau, bouffée par les fourmis, piqué par les orties je trouvais le temps long. La patience de Luc est plus longue à éteindre que la mienne, sa peau marque facilement, pour éviter les bleus, il est habillé comme au sport d’hiver, avec manches longues et tout.
— Nous allons faire le tour de l’autre côté en espérant qu’un autre couple sera plus coopératif. Allez debout ! on y va !
Je suis contente, c’est la fin du calvaire ! Pensez-vous, les choses-là s'arrangent dans Les malheurs de Sophie, dans les malheurs de Liza, c’est plus compliqué.
Je me suis levée heureuse de changer de position et paf, mes cheveux se sont enturbannés dans une branche. Et pas n’importe laquelle, celle qui donne de jolies fleurs blanches le long des routes au début du printemps, de l’aubépine m’a-t-on dit. Ici pas de fleur, vous avez vu les épines de ces trucs : fines comme une aiguille et longues de deux centimètres et demi ! Impossible de démêler ma tignasse, Luc a coupé la branche pour désemberlificoter à la maison.
Vers la sortie du champ j’entendais un bruit de moteur. Ici le gazole ne doit pas être cher, il n’est pas rare d’entendre un tracteur tourner au ralenti durant plus d’une heure, le temps pour son conducteur de prendre une bolée de cidre.
— Tu as de la chance, Désiré est là, tu n’auras pas à enjamber la barrière pour sortir du clos.
Je n’ai pas eu le temps de me réjouir, Luc me présentait à l’homme en lui précisant notre enjambeuse intrusion.
— Pour une fois, je vais échapper à la clôture vide sur la carte, il y aura autre chose à voir. Tu es très mignonne, je vais changer la SD, je te montrerai à la famille, mon garçon va aimer !
Encore un menteur qui se fiche de moi ! Coiffée à la diable, une branche d’épines dans les cheveux en guise de pince à crocs ou de couronne de martyre, des brindilles collées partout sur moi, sans doute la peau grêlée des plaques de rougeur dues aux fourmis et aux orties, le pauvre homme ! Sa famille va cauchemarder plusieurs nuits sur cette rencontre avec l’épouvantail du marais !
Finalement, nous avons contourné la ruine pour rien, les bestioles étaient hors de portée d’objectif et dispersées. Tant pis pour les cigognes locales, nous avons trois ou quatre photos de trous de balle, fructueuse attente. Luc va acheter une photo à l’agence Sigma.
Crois-moi, lorsque l’on te dit que ce n’est pas un endroit pour toi, n’insiste pas, c’est certainement vrai !
Liza