La danseuse de Boulogne
Publié : 03 août 2016, 15:56
J’attendais adossé à un coin de rue. L’air du mois de mai chaud me permettait d’arborer une chemise en jean et ni l’heure tardive, le coup de soleil nasal, ni le stress ne faisaient redescendre la température. Boulogne crachait son haleine parisée aux relents assourdissants pour un petit provincial. Je regardais par coups d’œil nerveux les jeunes à la sortie de la station Jean Jaurès, en vain. J’espérais la reconnaître dans cette fourmilière. Autant découper la vidéo d’une foule immense pour essayer d’apercevoir un ancien ami d’enfance, je devais attendre. Son arrivée ne faisait aucun doute et je ne savais pourtant pas où poser mon regard ; gardien fou, les yeux bandés, essayant de plonger dans toutes les directions pour réaliser la parade de sa vie et paraître dans son plus bel apparat.
Elle arriva sur ma droite. Grande et fine, un déhanché léger, des cheveux lisses et fins, châtains, un regard sombre et vert, mêlé des feuilles et de la terre ; elle étalait sa classe parisienne et tout le parfum de sa jeunesse. Elle n’avait pas grandi à Paris mais trois années à étudier dans la capitale avaient suffi à faire du paysage urbain son territoire. Étais-je sa proie ?
Une chemisette bleue également en jean et un pantacourt clair, des mocassins sombres qui collaient à son pas léger, aucun détail n’avait été négligé. La belle Alicia me menait dans son appartement de banlieue et la route fut ponctuée de rire gênés et de regards volés ; deux hypocrites faisant mine d’oublier les ébats téléphoniques de l’avant-veille. Un peu en retrait, je profitai du trajet pour détailler la grâce de la future danseuse professionnelle.
*****
Elle avait préparé le repas. Nous nous installâmes côte-à-côte pour remplir nos ventres d’autres aliments que ce trac palpable du premier rendez-vous. C’était bon mais devant un air désolé en attente de compliments, je ne pouvais qu’exagérer mon enthousiasme. Des fraises pour récompenses, je la dévorais des yeux. Elle soutint mon regard en mordant dans le rouge fruité et le stress évaporé fit place à d’autres sensations qui ne me rafraichirent pas, bien au contraire.
Chevalier servant, je me proposai de m’affairer aux corvées de fin de repas. Elle refusa sans conviction, simplement pour me contredire. Je me pris au jeu et en la bousculant avec soin, je gagnai et le droit de faire la vaisselle et le vol d’un premier contact physique ; le vol d’un sourire complice et joueur. D’humeur taquine, la conversation glissait vers une complicité remplie de faux sarcasmes. Goguenard, je la narguai :
« Si tu es si forte, on se fait un bras de fer alors ?
– Pas de soucis, tu vas voir ! Mais attends, j’ai le droit à mes deux bras, je suis une princesse… »
Un air de défi harmonisait nos deux visages. Le jeu était un bon prétexte pour un second rapprochement physique. La moue boudeuse de la perdante ne fut qu’une façade. L’air joueur et sauvage animé dans les rétines de la belle Alicia, lui, ne mentait pas. Je me revis adolescent cinq ou six ans auparavant, découvrir ce que c’était, une fille. Il me plut de me noyer dans cet instant et d’aborder chacun de ses codes.
Toutes les femmes savent faire patienter, juste assez pour calmer les ardeurs. Juste assez pour entretenir les ardeurs. Juste assez pour attiser le volcan qui dort au fond de nos corps. Alicia ne dérogea pas à la règle et comme pour nous punir de notre entrain, elle nous colla devant un film. La tête qui vint s’échouer contre mon épaule peu de temps après devait sûrement douter de l’utilité de trop me faire attendre.
« J’ai mal au dos à cause de la danse…
– Tu veux un massage ? »
L’idée spontanée mit fin au film. Je me risquais à un refus mais une voix intérieure me dit que c’était précisément ce qu’elle attendait. Elle acquiesça et en m’exposant son dos, elle enleva son haut. Mes mains se perdirent sur la peau fraiche. Tout était plus simple et bien plus clair à partir de ce moment. Cet instant où tout l’univers ne se réduisait qu’au contact des doigts sur sa nuque, ses épaules et sa colonne m’avait enivré. Mes pensées se firent plus audacieuses.
« Et une Alicia, ça se séduit comment ?
– Il faut du temps, si tu m’embrasses maintenant tu ne seras qu’une histoire de vacances… »
Cette réponse épousée d’un sourire sonnait comme un interdit ou un défi, et du temps, j’en manquais. L’envie de goûter les lèvres rebelles me jeta contre sa bouche et les lèvres en question se plurent à s’abandonner dans le sourire de leur nouveau maître.
Dans les draps banlieusards, les baisers devinrent caresses. Les caresses redevinrent baisers, moins sur les bouches, moins sages. Les courbes de son corps et le goût de sa peau ne furent malheureusement pas étrangers. Tandis que je m’oubliais dans ses bras, contre son bassin, et que nos respirations ne formaient que les échos d’une longue plainte, je ne pensais déjà plus à elle. J’en désirais une autre. Un rien plus femme, un rien plus pimentée, celle à qui je faisais l’amour n’était pas dans la pièce. Plus étrangère, elle aussi dansait et me narguait au rythme du sharqui. Les courbes d’Alicia, presque aussi fières et généreuses que les siennes, ne faisaient qu’accentuer cet abandon.
Une question m’effraya… Lui-ressemblait-elle réellement ?
En absence de réponse, mon sommeil fut court, entrecoupés de maux de têtes et puni d’avoir poussé les jeux libertins dans les retranchements de la nuit.
À mon réveil, les yeux sombres et verts qui se posaient sur moi étaient désormais noirs comme la nuit et prenaient la forme de deux amandes.
Une douche, un déjeuner tardif, rien de tout ça ne permit de me défaire l’image de la veille. Pantin telle la fière marionnette de Cupidon le farceur, je ne pouvais m’éloigner de ses bras et m’empêcher de l’embrasser encore. La passionnée de danse moderne ne se déplaisait pas de ses élans d’affections mais se demandait comment un homme pouvait devenir tout à coup aussi câlin. Redonne-moi ta chaleur, mon amour…
Panthère, elle m’emmena dans la ville-lumière, sa jungle. Les souvenirs se superposant aux images de la ville, je n’arrivai plus à distinguer la couleur de sa robe, tantôt tachetée, tantôt plus sombre. Sa course s’arrêta aux jardins du Luxembourg.
Jeunes et entêtés de lunettes de soleil, nous étalions à la foule en quête de repos et de beau temps notre liberté. Notre ballade nous amena des fontaines aux bancs derrière les cours de tennis. Et là, assis tous les deux dans ce poumon urbain, nous nous reposâmes. La tête contre moi, sa chevelure s’alourdit d’un coup. Les cheveux fins et châtains qui plongeaient dans mon cou devinrent une crinière sombre, frisée. Le jardin des Prébendes se dessina autour de nous et jeta à mes narines ses odeurs tourangelles.
Parfums de souvenirs…
Nous repartîmes, et, zigzaguant entre le jour étouffant et tonitruant de Paris et la nuit froide et bruyante de son métro, nous rentrâmes chez elle.
Au milieu de discussions coupées de tendresses et de caresses plus égarées, elle voulut comparer le pelage de sa patte au mien. Elle colla son bras contre le mien, ingénue, elle reproduit ainsi un geste de complicité accompagné d’un commentaire qui m’avait accompagné plusieurs années. Et alors que moqueuse, elle constatait que je n’avais pas énormément de poils aux bras pour un homme, le sien fin et immaculé, prit une couleur cuivrée.
Non… Elle ne lui ressemblait pas mais l’autre avait pris possession de son corps.
*****
Devant la voiture verte qui m’avait projeté à toute allure dans la ville folle la veille, nous nous enlaçâmes une dernière fois. Dans le sourire triste d’Alicia je compris que c’était un adieu. À cet instant, Schéhérazade me regarda une dernière fois à travers les deux yeux verts et ce fut la rupture, la rupture encore recommencée.
Elle arriva sur ma droite. Grande et fine, un déhanché léger, des cheveux lisses et fins, châtains, un regard sombre et vert, mêlé des feuilles et de la terre ; elle étalait sa classe parisienne et tout le parfum de sa jeunesse. Elle n’avait pas grandi à Paris mais trois années à étudier dans la capitale avaient suffi à faire du paysage urbain son territoire. Étais-je sa proie ?
Une chemisette bleue également en jean et un pantacourt clair, des mocassins sombres qui collaient à son pas léger, aucun détail n’avait été négligé. La belle Alicia me menait dans son appartement de banlieue et la route fut ponctuée de rire gênés et de regards volés ; deux hypocrites faisant mine d’oublier les ébats téléphoniques de l’avant-veille. Un peu en retrait, je profitai du trajet pour détailler la grâce de la future danseuse professionnelle.
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Elle avait préparé le repas. Nous nous installâmes côte-à-côte pour remplir nos ventres d’autres aliments que ce trac palpable du premier rendez-vous. C’était bon mais devant un air désolé en attente de compliments, je ne pouvais qu’exagérer mon enthousiasme. Des fraises pour récompenses, je la dévorais des yeux. Elle soutint mon regard en mordant dans le rouge fruité et le stress évaporé fit place à d’autres sensations qui ne me rafraichirent pas, bien au contraire.
Chevalier servant, je me proposai de m’affairer aux corvées de fin de repas. Elle refusa sans conviction, simplement pour me contredire. Je me pris au jeu et en la bousculant avec soin, je gagnai et le droit de faire la vaisselle et le vol d’un premier contact physique ; le vol d’un sourire complice et joueur. D’humeur taquine, la conversation glissait vers une complicité remplie de faux sarcasmes. Goguenard, je la narguai :
« Si tu es si forte, on se fait un bras de fer alors ?
– Pas de soucis, tu vas voir ! Mais attends, j’ai le droit à mes deux bras, je suis une princesse… »
Un air de défi harmonisait nos deux visages. Le jeu était un bon prétexte pour un second rapprochement physique. La moue boudeuse de la perdante ne fut qu’une façade. L’air joueur et sauvage animé dans les rétines de la belle Alicia, lui, ne mentait pas. Je me revis adolescent cinq ou six ans auparavant, découvrir ce que c’était, une fille. Il me plut de me noyer dans cet instant et d’aborder chacun de ses codes.
Toutes les femmes savent faire patienter, juste assez pour calmer les ardeurs. Juste assez pour entretenir les ardeurs. Juste assez pour attiser le volcan qui dort au fond de nos corps. Alicia ne dérogea pas à la règle et comme pour nous punir de notre entrain, elle nous colla devant un film. La tête qui vint s’échouer contre mon épaule peu de temps après devait sûrement douter de l’utilité de trop me faire attendre.
« J’ai mal au dos à cause de la danse…
– Tu veux un massage ? »
L’idée spontanée mit fin au film. Je me risquais à un refus mais une voix intérieure me dit que c’était précisément ce qu’elle attendait. Elle acquiesça et en m’exposant son dos, elle enleva son haut. Mes mains se perdirent sur la peau fraiche. Tout était plus simple et bien plus clair à partir de ce moment. Cet instant où tout l’univers ne se réduisait qu’au contact des doigts sur sa nuque, ses épaules et sa colonne m’avait enivré. Mes pensées se firent plus audacieuses.
« Et une Alicia, ça se séduit comment ?
– Il faut du temps, si tu m’embrasses maintenant tu ne seras qu’une histoire de vacances… »
Cette réponse épousée d’un sourire sonnait comme un interdit ou un défi, et du temps, j’en manquais. L’envie de goûter les lèvres rebelles me jeta contre sa bouche et les lèvres en question se plurent à s’abandonner dans le sourire de leur nouveau maître.
Dans les draps banlieusards, les baisers devinrent caresses. Les caresses redevinrent baisers, moins sur les bouches, moins sages. Les courbes de son corps et le goût de sa peau ne furent malheureusement pas étrangers. Tandis que je m’oubliais dans ses bras, contre son bassin, et que nos respirations ne formaient que les échos d’une longue plainte, je ne pensais déjà plus à elle. J’en désirais une autre. Un rien plus femme, un rien plus pimentée, celle à qui je faisais l’amour n’était pas dans la pièce. Plus étrangère, elle aussi dansait et me narguait au rythme du sharqui. Les courbes d’Alicia, presque aussi fières et généreuses que les siennes, ne faisaient qu’accentuer cet abandon.
Une question m’effraya… Lui-ressemblait-elle réellement ?
En absence de réponse, mon sommeil fut court, entrecoupés de maux de têtes et puni d’avoir poussé les jeux libertins dans les retranchements de la nuit.
À mon réveil, les yeux sombres et verts qui se posaient sur moi étaient désormais noirs comme la nuit et prenaient la forme de deux amandes.
Une douche, un déjeuner tardif, rien de tout ça ne permit de me défaire l’image de la veille. Pantin telle la fière marionnette de Cupidon le farceur, je ne pouvais m’éloigner de ses bras et m’empêcher de l’embrasser encore. La passionnée de danse moderne ne se déplaisait pas de ses élans d’affections mais se demandait comment un homme pouvait devenir tout à coup aussi câlin. Redonne-moi ta chaleur, mon amour…
Panthère, elle m’emmena dans la ville-lumière, sa jungle. Les souvenirs se superposant aux images de la ville, je n’arrivai plus à distinguer la couleur de sa robe, tantôt tachetée, tantôt plus sombre. Sa course s’arrêta aux jardins du Luxembourg.
Jeunes et entêtés de lunettes de soleil, nous étalions à la foule en quête de repos et de beau temps notre liberté. Notre ballade nous amena des fontaines aux bancs derrière les cours de tennis. Et là, assis tous les deux dans ce poumon urbain, nous nous reposâmes. La tête contre moi, sa chevelure s’alourdit d’un coup. Les cheveux fins et châtains qui plongeaient dans mon cou devinrent une crinière sombre, frisée. Le jardin des Prébendes se dessina autour de nous et jeta à mes narines ses odeurs tourangelles.
Parfums de souvenirs…
Nous repartîmes, et, zigzaguant entre le jour étouffant et tonitruant de Paris et la nuit froide et bruyante de son métro, nous rentrâmes chez elle.
Au milieu de discussions coupées de tendresses et de caresses plus égarées, elle voulut comparer le pelage de sa patte au mien. Elle colla son bras contre le mien, ingénue, elle reproduit ainsi un geste de complicité accompagné d’un commentaire qui m’avait accompagné plusieurs années. Et alors que moqueuse, elle constatait que je n’avais pas énormément de poils aux bras pour un homme, le sien fin et immaculé, prit une couleur cuivrée.
Non… Elle ne lui ressemblait pas mais l’autre avait pris possession de son corps.
*****
Devant la voiture verte qui m’avait projeté à toute allure dans la ville folle la veille, nous nous enlaçâmes une dernière fois. Dans le sourire triste d’Alicia je compris que c’était un adieu. À cet instant, Schéhérazade me regarda une dernière fois à travers les deux yeux verts et ce fut la rupture, la rupture encore recommencée.