Armistice
Publié : 11 novembre 2016, 17:02

Borne voie de la Liberté !
Armistice
Il est des jours ! Je me suis réveillée à six heures avec une envie de pipi. Je pose le pied droit au sol, allez savoir pourquoi, sur une feuille de papier qui traînait là uniquement pour signifier une mauvaise journée. Sur le parquet flottant, c’est pire que des patins à roulettes. Je me retrouve sur les fesses, sans lâcher la couette. Étant au sol, j’en profite pour traquer le danger. Pensez-vous ! introuvable, je tâte et retâte en vain, pas de papier. Je laisse tomber.
La porte des toilettes est à moitié ouverte, c’est mon cauchemar, fermée ou ouverte c'est parfait, entre les deux, très dangereux. Je me cogne durement le bras dans la poignée.
Je suis affamée, je n’allais pas me recoucher ! Première levée, pas de difficulté. J’enclenche la bouilloire et je sors le café en poudre, un bol et une cuillère. J’enfourne les croissants dans le micro-ondes et j’attends l’annonce du temps « trois minutes » pour les réchauffer au grill. Je verse l’eau sur le café, tire l’assiette de croissant du four et je m’attable.
Mon bol est glacé, je réalise immédiatement, je l’ai remplie avec l’eau froide de la carafe anticalcaire. Qu’importe, je jette le contenu, nouvelle dose de café et, cette fois, je mouille avec l’eau chaude de la bouilloire.
Sauvée Liza, ouf ! Avec une journée qui commence mal, les malheurs de Liza se suivent en cohorte. Je saisis un croissant pour faire trempette. Le bois de chêne est tendre à côté. Je réalise mon erreur j’ai mis micro-ondes et grill, pas le gril seul. Trois minutes, cela ramollit les pâtes, elles se rattrapent, en refroidissant elles durcissent. Finalement, j’ai essayé de beurrer des biscottes, un défi, elles se brisaient entre mes doigts énervés. Le temps de cela, le café était froid. Je n’ai pas déjeuné !
Au moment de la toilette, j’opte pour le bain. J’ai laissé échapper la savonnette. Avez-vous essayé la pêche à la savonnette en mer Baignote ? c’est pire que saisir une anguille à mains nues. J’en ai eu assez de la sentir me glisser dans les menottes, j’ai enfilé le gant de crin. Capturée la sauvageonne, fini la glissade, vive le savonnage !
Terminés les mauvais coups du sort… lavée, essuyée, peignée, peignoir enfilé, reste à s’habiller. Impossible de trouver mes guenilles. Prise d’un soupçon, je fonce dans le cagibi, la lessive est lancée la machine tournille. Tata a tout ramassé, culottes, pyjama, corsage, pantalon, chaussettes, tout mon baluchon. Pour trois jours j’apporte juste le nécessaire.
— Je dois lire la liste des Morts pour la France, je râle, dois-je aller à poils énoncer les poilus !
On m’a choisie pour montrer le bon côté de la jeunesse. Je dois prouver à tous combien les jeunes transmettent le souvenir. Si je dois lire ma page de noms, perchée sur l’affût du canon, vêtue du Bikinirikiki resté dans mon placard, côté transmission de mémoire… personne ne chassera jamais le 11 novembre 2016… de sa mémoire.
— Je n’y ai plus pensé, se défend Tata. La machine a fini, une heure de séchoir et tu récupères tes affaires à temps.
Eh oui ! tout simple, tout au moins en théorie. Soulagée, je tends le dos au prochain malheur de Liza. La machine à laver a un programmateur électronique, tourner les boutons était-il si pénible ? Lorsque l’on se lève mal, même du bon pied ! Je quitte ma couche pour aller faire pipi ou me lever toujours par la droite, ce qui dément de dicton.
Devinez ! difficile Liza est imprévisible. À la fin du cycle, la machine, contestataire, ou vexée de travailler un jour de fête, refuse, tout net, de débloquer l’ouverture du hublot. Tata aurait-elle oublié de doubler la dose d’adoucissant pour les heures supplémentaires ? Malgré une volée de coups de poing et une coupure délectricité, rien à faire. Au moins dans les trains il y a un marteau pour casser le carreau, ici rien pour donner l’assaut !
Tonton trouve la solution : nous n’allons pas réciter au son du clairon, cas de force majeure, déclarons forfait, c’est simple ! Je proteste ! fierté et entêtement ne baissent pas pavillon de cette façon. On compte sur moi. Je suis de ceux qui ne renoncent pas pour des broutilles. Nos poilus ont gagné la guerre, nous n’allons pas abandonner pour deux ou trois banderilles.
Nous avons retourné la maison pour trouver la feuille en braille où sont listés les noms des habitants morts au combat. Tout était contre moi, en glissant sur la feuille, je l’avais envoyée sous le bureau derrière mon sac à dos. Nous l’avons trouvée, tout est bien, allons sur le terrain.
Devant une alignée d’anciens combattants, retenant difficilement leurs drapeaux flottant au fort vent. Face à la population rassemblée, dans le recueillement, Liza souriait. Quel ton aurait pris la cérémonie si… l’on avait connu le nombre de nos batailles livrées ce matin et toutes les victoires obtenues.
Debout sur l’affût du canon, vêtue de ma doudoune sur un vieux jogging défraîchi, pas très cérémonial comme tenue. J’ai récité, entre deux coups de clairon : Alfred Adam : mort pour la France, Albéric Aimedieu : mort pour la France…
Et, je vous le donne en mille… Liza et ses surprises, par 6°, le 11 novembre… elle a sorti la tenue d’été… elle a réussi cet exploit, elle portait Bikinirikiki… en guise de sous-tenue.
Je vous le dis, il y a des jours où je ferais mieux de ne pas me lever…
Liza