Je garde ma voix
Publié : 02 janvier 2017, 21:22
Je garde ma voix
À la mi-mars je suis allée à la mairie m’inscrire sur les listes électorales. Au dos de ma carte d’identité, périmée d’ailleurs, il y a l’adresse de l’orphelinat. La secrétaire de mairie a regardé la photo, le sourire aux lèvres.
— Vous étiez mignonne comme tout étant petite.
Cela semble supposer qu’une fois grande, je ne le suis plus. Enfin, elle me reconnaît, c’est déjà une bonne chose.
— Vous avez un justificatif de domicile ? demande-t-elle.
— Oui, Madame, une quittance EDF, dis-je en déposant le papier sur le comptoir.
— Cette facture n’est pas à votre nom, elle ne peut faire foi de votre résidence ici.
— Je suis accueillie ici, c’est de notoriété publique. Attendez, j’ai un autre papier.
Me doutant des pinailleries de l’administration, je sors de mon sac l’ordonnance du juge aux affaires familiales et la pose devant la secrétaire.
— Cela ne prouve rien, affirme-t-elle après examen.
— C’est écrit noir sur blanc : Liza… ayant élu domicile chez son parrain à…
— Ce n’est pas un justificatif de domicile. Vous avez élu domicile ici lors du jugement, rien ne prouve que vous y êtes encore.
Je commençais à ruminer, même si ce n’est pas le propre de l’homme, fut-elle une femme.
— Un papier sur l’honneur, j’avance timidement…
— Le plus simple demandez une attestation de résidence. Vous n’êtes pas accueillie chez un tuteur légal. Et, en plus, vous êtes émancipée, votre cas n’est pas simple.
— Toutefois vous me connaissez ! Je ne suis pas une immigrante.
— Eh presque, elle ajoute, le plus sérieusement du monde.
— Dans le travail, je ne connais personne, il y a un règlement. Je comprends votre désarroi, sans rien pouvoir faire.
En désespoir de cause, je suis rentrée expliquer ma démarche à mon parrain. Aussitôt il a bombardé l’ASE de mon département de courriels et de fax pour obtenir un document prouvant que je réside officiellement chez lui. De cette façon tout sera clair pour tout le monde.
Après je ne sais combien de relance, nous avons obtenu le précieux document signé du juge aux affaires familiales établi 25 mars. Éliza est enfin inscrite sur la liste pour donner sa voix.
Connaissant Éliza, vous en doutez… et vous avez raison. La mairie est fermée en raison des congés de la secrétaire toute la semaine. Ouf, tout s’arrange, une affichette informe les habitants. « Exceptionnellement une permanence se tiendra samedi 26 mars de 10 h à 12 h pour l’inscription sur les listes électorales.
Il était à peine dix heures, j’attendais à la porte. Je suis entrée en même temps que l’adjoint de permanence. Après un bonjour bougon, il m’a demandé ce que je voulais.
— M’inscrire sur les listes, la secrétaire a exigé une attestation de domicile, la voilà.
Il l’a examiné une éternité, peut-être la prenait-il pour un faux, avant de s’exclamer.
— Je le constate, vous n’avez pas dix-huit ans.
— Euh, non, je suis émancipée, c’est précisé sur le document.
Sans un mot, le bonhomme s’est levé, sans rien me dire. J’entendais tourner des pages. Le silence a duré cinq bonnes minutes. J’ai entendu le claquement de la fermeture du bouquin, un geste d’impatience, j’en suis certaine. Si sa fonction l’oblige à tenir une permanence ce matin, ce n’est pas ma faute. J’allais me fâcher de son silence lorsqu’il a laissé tomber le résultat de ses recherches, je suis persuadée qu’il affichait un sourire victorieux.
Ne faites pas cette tête étonnée, rien ne vous surprend de ma part. Éliza ne votera pas cette année. Je n’y suis pour rien !
Le code électoral français ne donne pas le droit de vote avant dix-huit ans. Si j’avais su, je ne serais pas venue !... à la mairie, bien entendu !
Liz
À la mi-mars je suis allée à la mairie m’inscrire sur les listes électorales. Au dos de ma carte d’identité, périmée d’ailleurs, il y a l’adresse de l’orphelinat. La secrétaire de mairie a regardé la photo, le sourire aux lèvres.
— Vous étiez mignonne comme tout étant petite.
Cela semble supposer qu’une fois grande, je ne le suis plus. Enfin, elle me reconnaît, c’est déjà une bonne chose.
— Vous avez un justificatif de domicile ? demande-t-elle.
— Oui, Madame, une quittance EDF, dis-je en déposant le papier sur le comptoir.
— Cette facture n’est pas à votre nom, elle ne peut faire foi de votre résidence ici.
— Je suis accueillie ici, c’est de notoriété publique. Attendez, j’ai un autre papier.
Me doutant des pinailleries de l’administration, je sors de mon sac l’ordonnance du juge aux affaires familiales et la pose devant la secrétaire.
— Cela ne prouve rien, affirme-t-elle après examen.
— C’est écrit noir sur blanc : Liza… ayant élu domicile chez son parrain à…
— Ce n’est pas un justificatif de domicile. Vous avez élu domicile ici lors du jugement, rien ne prouve que vous y êtes encore.
Je commençais à ruminer, même si ce n’est pas le propre de l’homme, fut-elle une femme.
— Un papier sur l’honneur, j’avance timidement…
— Le plus simple demandez une attestation de résidence. Vous n’êtes pas accueillie chez un tuteur légal. Et, en plus, vous êtes émancipée, votre cas n’est pas simple.
— Toutefois vous me connaissez ! Je ne suis pas une immigrante.
— Eh presque, elle ajoute, le plus sérieusement du monde.
— Dans le travail, je ne connais personne, il y a un règlement. Je comprends votre désarroi, sans rien pouvoir faire.
En désespoir de cause, je suis rentrée expliquer ma démarche à mon parrain. Aussitôt il a bombardé l’ASE de mon département de courriels et de fax pour obtenir un document prouvant que je réside officiellement chez lui. De cette façon tout sera clair pour tout le monde.
Après je ne sais combien de relance, nous avons obtenu le précieux document signé du juge aux affaires familiales établi 25 mars. Éliza est enfin inscrite sur la liste pour donner sa voix.
Connaissant Éliza, vous en doutez… et vous avez raison. La mairie est fermée en raison des congés de la secrétaire toute la semaine. Ouf, tout s’arrange, une affichette informe les habitants. « Exceptionnellement une permanence se tiendra samedi 26 mars de 10 h à 12 h pour l’inscription sur les listes électorales.
Il était à peine dix heures, j’attendais à la porte. Je suis entrée en même temps que l’adjoint de permanence. Après un bonjour bougon, il m’a demandé ce que je voulais.
— M’inscrire sur les listes, la secrétaire a exigé une attestation de domicile, la voilà.
Il l’a examiné une éternité, peut-être la prenait-il pour un faux, avant de s’exclamer.
— Je le constate, vous n’avez pas dix-huit ans.
— Euh, non, je suis émancipée, c’est précisé sur le document.
Sans un mot, le bonhomme s’est levé, sans rien me dire. J’entendais tourner des pages. Le silence a duré cinq bonnes minutes. J’ai entendu le claquement de la fermeture du bouquin, un geste d’impatience, j’en suis certaine. Si sa fonction l’oblige à tenir une permanence ce matin, ce n’est pas ma faute. J’allais me fâcher de son silence lorsqu’il a laissé tomber le résultat de ses recherches, je suis persuadée qu’il affichait un sourire victorieux.
Ne faites pas cette tête étonnée, rien ne vous surprend de ma part. Éliza ne votera pas cette année. Je n’y suis pour rien !
Le code électoral français ne donne pas le droit de vote avant dix-huit ans. Si j’avais su, je ne serais pas venue !... à la mairie, bien entendu !
Liz