Vous avez dit – un ange ?
Publié : 05 avril 2017, 16:10
Hola les spleenéins !
Alors, je me lance dans la publication de mon premier texte sur le forum, qui est bien loin d'être mon premier texte en réalité, il date de janvier/février, je l'ai écrit en un mois lors de quelques cours en peu trop soporifiques par-ci par là. Ben oui, être en prépa, ça ne veut pas dire qu'on ne s'ennuie pas, parfois ! Du coup, je demande également pardon pour les éventuelles fautes d'orthographes ou de frappe ! Je poste ce texte-ci car il s'agit du seul qui soit déjà entièrement tapé sur Word, ce n'est pas spécialement le premier que j'aurais voulu mettre, mais comme je suis une flemmarde en manque de temps, je vais devoir m'en contenter. Je vais d'ailleurs devoir le poster en deux fois, même en écrivant, je m'étale tellement qu'il ne tient pas, et, fervente utilisatrice d'italiques, il faut également que le transpose ici.
Petit avertissement - et ensuite, promis, je me tais pour laisser parler ma plume, bien que défectueuse - pour les allergiques aux phrases longues : je suis une énorme amatrice (comme vous avez déjà pu le voir) de tirets, parenthèses, virgules et points-virgule, et mes phrases souvent indigestes sont malgré tout à relire plusieurs fois, et lentement. Je vous présente donc tout de suite mes plus plates excuses, surtout que ce n'est pas encore du Proust - et que, de toute façon, tout le monde n'aime pas forcément Proust.
Ah oui, et j'espère aussi qu'il n'est pas trop truffé de cliché navrants, surfaits, mais bon, comme les sentiments sont irrationnels et surfaits lorsqu'ils se décuplent tout seul, on va dire que les hyperboles à rallonge sont légitimes, hein ? Bon, j'espère que cela n'entravera pas votre lecture, ne vous découragera pas en plein milieu ni ne vous donnera envie d'aller vomir, ne me fera pas passer pour une ado en overdose d'hormones ou que sais-je, enfin bref, je vous laisse lire !
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– Excusez mon retard, murmura-t-il à l’intention de la professeure, regard incertain et poignée de porte toujours en main, la respiration rapide.
Bien que très à cheval sur la ponctualité, elle lui intima d’un léger signe de tête de s’installer, ce qu’il fit sans plus tarder, refermant soigneusement la porte derrière lui. Sans dire mot pour ne pas perturber le cours, il tira la chaise inhabituellement vide à ma gauche et s’y assit, posant un instant ses yeux sur moi, comme pour s’assurer d’un certain accord de ma part, que j’explicitai en chuchotant « c’est bon », lui souriant brièvement, avant de retourner à mon écran. J’avais senti mes joues rougir imperceptiblement et une douce chaleur y monter – ce qui, en cette triste et froide journée hivernale, ne pouvait être qu’agréable. Je priai simplement pour qu’il ne le vît pas. En quelques secondes, il était opérationnel, et ses yeux étaient rivés sur son ordinateur, ses doigts longs et fins martelant mécaniquement les touches du clavier.
Il était beau ; pas ce genre de beauté presque efféminée ou plastique qu’on imprime sur les pages de magazines pour ados, non, c’était un charme singulier, que jamais, pour tout vous dire, je n’avais pu observer ailleurs, un charme simple – point trop n’en faut – qui, je crois pouvoir l’affirmer a posteriori, attirait mon regard vers son profil sérieux, serein. Des cheveux bruns, ondulés, soyeux, sans être trop longs, s’entremêlaient sur son crâne et semblaient se battre en permanence – ou défier manifestement la gravité – et retombaient sur ses oreilles ou son front, large front qui devait dissimuler une intelligence et une sensibilité sans précédents, mais sans doute incomprises. Sous ses arcades habillées par de longs sourcils foncés trônaient, côte à côte, deux perles d’obsidienne, parfaites, profondes, dans lesquelles semblaient se refléter toutes les merveilles du monde, toutes les émotions rencontrées par lui ou par ceux qu’il avait pu croiser. Elles lui donnaient un aspect on ne peut plus mystérieux, comme un meuble ancien qu’on clôt avec la ferme intention de ne plus jamais l’ouvrir et d’en faire un objet de décoration, témoin d’un passé qu’en dépit de nos connaissances théoriques nous ne connaissons pas. Et, Dieu le sait, on peut en cacher, en mettre à l’abri, des choses, des souvenirs, dans les tiroirs et placards d’un vieux meuble. Son nez – qu’en dire ? – était parfait, centré, proportionné, axe de la symétrie si harmonieuse de son visage, et autour duquel une barbe de quelques jours fleurissait joyeusement, sombre, sans être trop garnie et qui laissait ainsi entrevoir la peau claire de ses joues. Elle entourait des lèvres fines, roses, lesquelles, lorsqu’elles se tordaient majestueusement en un sourire rayonnant qui, par la même, faisait se plisser légèrement ses yeux, m’envoûtaient et faisaient disparaître le monde environnant, pour ne laisser plus que du vide autour de lui – et sa présence envahissait tout.
Rarement je l’avais approché de près, je me contentais souvent de l’observer lorsque nous nous croisions dans les couloirs, attendions le début des cours, ou lorsque je l’apercevais fortuitement et furtivement dans la cour ou le réfectoire. J’aurais pu un million de fois remercier le hasard qui avait fait que, ce jour-là, l’absence de ma voisine s’était accordée avec son retard inhabituel – ainsi qu’avec l’occasionnelle bonne humeur de la professeure qui lui avait autorisé l’entrée – et l’avait ainsi assis là, à une quinzaine de centimètres de moi, pour les deux heures à venir, voire le reste de la matinée. Ce fut la première fois que je distinguai la réelle couleur de ses iris enchanteurs, qui n’étaient en fait pas noirs, mais d’un brun noisette assez foncé, particulier, qui variait selon la lumière et l’angle, l’inclinaison de son visage par rapport à elle, virant d’une teinte de sienne presque ébène à un marron orangé, amande, clair et limpide. Cette variation selon l’intensité et le type de lumière semblait refléter ces regards profonds et dissimulateurs, ou ceux qui au contraire, grands ouverts, nous laissaient lire dans son âme comme dans un vieux grimoire en latin qui livrerait d’anciens secrets oubliés à celui ou celle qui saurait le déchiffrer.
Je pourrais parler d’hypnose, car le regarder, c’était me perdre en lui, m’oublier comme si j’étais le fardeau de trop face à une telle magnificence passive et modeste, l’habitante des galeries souterraines face à l’arpenteur céleste. Il prenait toute la place devant mes yeux et dans mon cœur ; rares étaient les secondes qui s’écoulaient sans que sa pensée ne me parvienne et ne me distraie : il était partout, tout le temps, parfois un peu lointain, parfois se rapprochant dangereusement, vile flamme – mais majestueuse, dansante, joyeuse, unique dans le mélange de ses teintes harmonieuses et singulières ! – frôlant et narguant mon cœur de bois et mon esprit de braises. Au lieu de me dérober et reculer, je m’abandonnais à son image, me lovais contre elle, et dès lors je n’existais plus, j’étais mineure partie de lui qu’on ne distinguait plus.
Sans doute n’était-il pas sans savoir l’effet qu’il pouvait avoir sur les gens, sans doute le lui avait-on déjà maintes fois fait remarquer, et quoi qu’il en soit, ce fut assez pour qu’il ne l’ignorât pas, mais insuffisant pour que cela tournât à de l’égocentrisme ou à un quelconque sentiment de supériorité, lesquels ne furent jamais présent en lui – ou invisibles, indiscernables – ; il était modeste, agissait au quotidien comme si sa prestance, sa présence et ses pensées n’avaient jamais impacté personne, et plaçait tout le monde au même niveau que lui bien que ce ne fût jamais le cas. Je n’affirme pas que personne ne le surpassât en aucun temps et aucun lieu, j’avance seulement le fait certain que, de toutes les personnes qui avaient un jour croisé ma sombre route sinueuse et perdue dans la campagne, en bord de plages désertes ou entre les montagnes escarpées et falaises vertigineuses, il était sans le moindre doute celle dont l’intelligence admirable excédait de loin celle des autres, celle qui m’avait, d’une singulière façon, le plus marquée.
Ce charme que beaucoup ne remarquaient pas, auquel certaines filles – légèrement midinettes, ou encore à baver comme des chiens devant le moindre « beau gosse » ou au contraire vrai homme, comme elles pouvaient dire – s’accrochaient comme des sangsues à la peau, et qu’elles lâchaient, ignoraient voire dénigraient dès qu’elles se rendaient compte qu’elles ne l’intéressaient pas et qu’il y avait en lui un trop grand mystère à élucider, se raccrochant alors à un garçon plastique et populaire qu’elles ne chercheraient pas à creuser – ou en qui il n’y avait rien à creuser – irradiait dans mon monde intérieur, et tout semblait plus beau, et il était inéluctable, et impossible à laisser de côté. C’est que sur son visage angélique se reflétait cette capacité à comprendre les gens, à sympathiser au sens premier du terme, à non pas seulement comprendre la souffrance qui pouvait accabler certaines existences un peu trop amples, mais à la partager avec elles, à en souffrir aussi, quitte à rajouter sur ses épaules une part du fardeau qui s’ajoutait aux siens, pour soulager ceux qui, plus frêles encore, allaient choir sous le poids. En fait, il y avait entre les fins traits de sa figure toute la profondeur de son âme.
(Âme que j’espérais qu’il mettait autant à son propre service qu’à celui des autres, même si c’est rarement le cas.)
Au final, il était là, et c’est moi qui n’écoutais plus le cours que d’une oreille distraite, mes doigts cavalant sur le clavier de manière anarchique, et créant sur mon document de texte des suites de caractères illisibles, des mots incompréhensibles – peut-être ne voulaient-ils plus rien dire sur le moment – qui s’accordaient et se complétaient pour décrire une suite d’évènements que mon cerveau allait occulter quelques dizaines de minutes plus tard, comme le voulait la coutume. La professeure parlait-elle une langue ancienne inconnue, ou étais-je tout bonnement devenue sourde ? Mon cerveau ne mettait plus les lettres sur les sons, les images sous les mots.
Je me risquai alors à l’entreprise la plus périlleuse de mon année, de ma vie peut-être, laquelle je ne me serais jamais crue capable d’accomplir, profitant du bref instant de pause que nous accordait notre professeure, qui affichait sur le tableau blanc la première diapositive du nouveau chapitre : je me tournai légèrement vers lui et, dans un élan de courage indicible qui me venait de profonds confins de mon être et dont je n’avais soupçonné l’existence avant ce moment, je lui adressai quelques mots à demi-voix.
– Tu voudras la fin du cours ?
Le drame. La crise intérieure. Ses pupilles se posèrent sur moi – et jamais je ne m’étais sentie aussi sereine sous le regard de quelqu’un ! Son regard était appuyé d’un de ses sourires caractéristiques qui me rendaient fébrile et que j’aurais pu appeler les « soleils » de ma journée lorsque j’avais la chance de les apercevoir, doublé d’une pointe de reconnaissance.
– Merci beaucoup, c’est adorable.
« Adorable ». Sa voix, sa voix ! un délice auditif, doux, qui m’envoûtait par les oreilles – quelles chances avais-je de lui échapper ? il avait mes sens totalement sous hypnose ! – et un ton sucré, pas mielleux, mais simple, léger, amical.
– On voit ça à la fin du cours ? me demanda-t-il, alors que je me remettais de mes transports imprévus, mon attention encore entièrement focalisée sur lui.
– Y a pas de soucis, lui souris-je, une joie indescriptible explosant en moi, détruisant l’équilibre rassurant qu’on met inconsciemment en place et qui n’est parfois tissé que de tristesse ou de nostalgie qui s’entremêlent, et me donnant envie de disparaître avant ladite fin du cours, de me muer dans un silence glacial, ou de ne plus m’arrêter de parler, et rire, et y être déjà, et le remercier pour avoir illuminé ma journée.
Après quoi, le silence était douloureux et reposant à la fois, à savoir lourd après la légèreté de sa voix, et indispensable pour que je retrouve mon calme et me prépare psychologiquement pour l’épreuve supplémentaire qui allait suivre. Cela me semblait à moi-même un tantinet ridicule, car cela n’allait durer que quelques secondes, le temps d’un simple transfert de fichier, de clé USB, avant que la récréation ne le fasse s’envoler à sa place habituelle, de l’autre côté de la salle, deux rangs devant moi. Qu’il allait être difficile de se devoir contenter de l’observer de dos alors qu’il allait avoir passé près de deux heures à côté de moi, de ne regarder que ses cheveux – aussi beaux étaient-ils – après avoir contemplé – discrètement – son profil, son nez, ses yeux, sa bouche ! J’allais pouvoir rêver plus encore qu’à l’accoutumée, nourrissant mes songes de ce que j’aurais vu ce jour, durant un cours de géographie quelque peu inintéressant transformé en un créneau que je n’allais pouvoir oublier.
Les trois quarts d’heure qui restaient devant nous s’écoulèrent anormalement vite, comme si le sablier s’était élargi et les grains de sables affinés, et que les minutes défilaient sans que le filtre temporel ne les tamise comme il le fait ordinairement. Avant d’avoir eu ne serait-ce que le temps de souffler, la sonnerie fit résonner son chant strident et bref, synonyme alors de libération, lorsqu’il fut celui de l’emprisonnement matinal deux heures auparavant. Libération douloureuse ce jour-là pour moi, cependant. Lorsque la professeure termina son cours et nous souhaita une bonne journée, empiétant comme toujours sur notre temps de pause, j’enregistrai mon document et m’apprêtai à lui demander s’il avait une clé pour le transfert lorsqu’il s’adressa à moi.
– Tu es sûre que cela ne te dérange pas ?
Il paraissait un peu gêné – ce qui ne le rendait pas moins charmant, au contraire – et ses jambes remuaient nerveusement sous la table quoique imperceptiblement, pourtant je ne sais ce qui fit que je le remarquai, car son visage ne le laissait qu’à peine transparaître.
– Pas du tout ! m’empressai-je de rétorquer, souriant malgré moi – c’est que je ne contrôlai plus rien, plus rien du tout – et lui présentant la paume de ma main pour qu’il y plaçât sa clé USB. Je ne te l’aurais pas proposé si ça me posait problème, lui assurai-je – et c’était vrai, je n’en pensais pas moins.
De toute façon, j’aurais fait n’importe quoi pour lui, et au vu des conversations que nous avons eu ensuite tout au long de l’année, de peux l’affirmer a posteriori sans en avoir le moindre doute. L’amour fait des choses folles, on se jetterait sous un train sans une once d’appréhension si cela pouvait nous donner quelque valeur aux yeux de celui qu’on a élu malgré nous, ou le sauver lui.
Il me remercia une fois de plus, me donnant son disque dur que je branchai sur mon ordinateur et sur lequel je déposai le fichier, le tout dans un silence qui était cette fois-ci léger et que briser n’aurait pas été affaire impossible, comme il m’avait semblé l’être un peu plus tôt. Je lui souris en le lui rendant.
– Merci beaucoup, c’est gentil, vraiment–
– Rien de plus normal, tu sais, l’interrompis-je sans même m’en vouloir ensuite, car cela le fit sourire de plus belle. Et puis… ce n’est franchement pas grand-chose, ajoutai-je en détournant le regard une seconde, avant de le regarder de nouveau.
¬– Certes, mais c’est déjà super. Tu n’étais pas obligée de proposer.
Il souriait toujours, et moi, je n’étais plus moi-même – lovestruck comme on pourrait dire –, sous le charme au point que j’avais l’impression de ne plus dépendre de moi, d’être une marionnette dont les ficelles étaient entre ses mains sans qu’il ne le sût. Cela peut paraître idiot, je le conçois, un peu cliché, stupide, mais je l’aimais – et l’aime encore – ainsi. J’exagère sans doute un peu, je disposais encore en partie de mon libre arbitre, mais disons qu’il n’avait qu’à parler pour que mes sens s’embrouillent, et il était paradoxalement le seul capable de m’éclairer. Il me plongeait dans une nuit sans lune tout en s’improvisant soleil dans mon ciel aux étoiles lointaines et apparentes pourtant.
J’étais indiciblement heureuse de l’avoir dépanné, d’avoir pu lui être d’une quelconque utilité bien que temporaire, et quelque part j’avais aussi un sentiment bizarre à l’idée que sur son ordinateur se trouvait désormais, perdu parmi le reste des cours, et de sa vie privée, et probablement pour une durée de quelques heures voire quelques jours tout au plus, un de mes fichiers. Il fallait bien que je m’accroche à quelque chose, au peu que nous partagions en réalité, mais qui représentait tout, car qu’avais-je d’autre ? C’est quelque chose difficilement compréhensible lorsqu’il ne s’agit pas de nous, ça semble « cucul la praline » alors que c’est parfois tout ce qu’on a, et donc le plus important. Et le plus petit d’apparence, est parfois le plus profond, de même que la petite pointe qui émerge de l’eau glaciale peut dissimuler un iceberg gigantesque – et face à lui, je ne serais pas moins fragile que le Titanic –, et que la petite plante cache peut-être les racines les plus développées – ou le fruit le plus gros, ou le plus sucré, le plus savoureux. On s’attache à des détails, qui n’ont de sens que pour nous, pas même peut-être pour la personne en face, ou alors sans que ce ne soit su ou convenu. Cela n’a rien d’éminemment incompréhensible, et je pourrais même comprendre qu’on soit prêt à tout pour acquérir un objet ayant appartenu à quelqu’un qu’on aime – cela se manifeste souvent pour une idole qui de loin nous fascine, mais Madame de Clèves, elle, s’était bien débrouillée pour récupérer la canne du duc de Nemours, lequel avait dérobé son portrait ! – ou ne serait-ce que quelque chose qu’il a touchée, possédée pendant quelque temps. Et quand on n’a pas d’éléments matériels, on se souvient des mots, des images, des sourires qui se sont évanouis et des regards qui ont disparu alors que la silhouette s’est éloignée dans la brume, lesquels nous rappellent tous qu’ils constituent des prises plus sûres encore, car là où s’attachent d’eux-mêmes l’esprit et la mémoire, les mains ne sont d’aucune utilité.
J’avais touché son disque dur. Il – lui et ses affaires – avait touché la même table que la mienne. Mon fichier était dans son ordinateur. Il m’avait regardée, parlé, remerciée, souri.
Nous avions quelques minutes en commun à notre effectif.
Il marchait sur le même sol que moi, respirait le même air, observait les mêmes paysages – et ce bien que rien de tout cela ne soit exactement pareil pour lui et moi puisque nos dispositions et perceptions modifient toutes choses et les transforment en représentations singulières inexprimables qui ne peuvent appartenir à nul autre dans leur identité. Notre salle de classe était différente pour lui, différente pour moi, comme l’étaient les rues de la ville que nous avions fréquentées sans savoir que l’autre le faisait – peut-être nous y étions-nous croisés avant de nous connaître, et souvent je me demandais s’il était un jour passé par là, ou là, et ce qu’il avait pensé, ou ce qu’il pensait à cet instant, quelles émotions se battaient ou se reposaient en lui, quels sentiments, quelles impressions, quelles questions sans réponses.
Des détails. Et ce terme est en lui-même contradictoire avec ce pour quoi nous les prenons – non pas que nous les confondions…
Alors, je me lance dans la publication de mon premier texte sur le forum, qui est bien loin d'être mon premier texte en réalité, il date de janvier/février, je l'ai écrit en un mois lors de quelques cours en peu trop soporifiques par-ci par là. Ben oui, être en prépa, ça ne veut pas dire qu'on ne s'ennuie pas, parfois ! Du coup, je demande également pardon pour les éventuelles fautes d'orthographes ou de frappe ! Je poste ce texte-ci car il s'agit du seul qui soit déjà entièrement tapé sur Word, ce n'est pas spécialement le premier que j'aurais voulu mettre, mais comme je suis une flemmarde en manque de temps, je vais devoir m'en contenter. Je vais d'ailleurs devoir le poster en deux fois, même en écrivant, je m'étale tellement qu'il ne tient pas, et, fervente utilisatrice d'italiques, il faut également que le transpose ici.
Petit avertissement - et ensuite, promis, je me tais pour laisser parler ma plume, bien que défectueuse - pour les allergiques aux phrases longues : je suis une énorme amatrice (comme vous avez déjà pu le voir) de tirets, parenthèses, virgules et points-virgule, et mes phrases souvent indigestes sont malgré tout à relire plusieurs fois, et lentement. Je vous présente donc tout de suite mes plus plates excuses, surtout que ce n'est pas encore du Proust - et que, de toute façon, tout le monde n'aime pas forcément Proust.
Ah oui, et j'espère aussi qu'il n'est pas trop truffé de cliché navrants, surfaits, mais bon, comme les sentiments sont irrationnels et surfaits lorsqu'ils se décuplent tout seul, on va dire que les hyperboles à rallonge sont légitimes, hein ? Bon, j'espère que cela n'entravera pas votre lecture, ne vous découragera pas en plein milieu ni ne vous donnera envie d'aller vomir, ne me fera pas passer pour une ado en overdose d'hormones ou que sais-je, enfin bref, je vous laisse lire !
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– Excusez mon retard, murmura-t-il à l’intention de la professeure, regard incertain et poignée de porte toujours en main, la respiration rapide.
Bien que très à cheval sur la ponctualité, elle lui intima d’un léger signe de tête de s’installer, ce qu’il fit sans plus tarder, refermant soigneusement la porte derrière lui. Sans dire mot pour ne pas perturber le cours, il tira la chaise inhabituellement vide à ma gauche et s’y assit, posant un instant ses yeux sur moi, comme pour s’assurer d’un certain accord de ma part, que j’explicitai en chuchotant « c’est bon », lui souriant brièvement, avant de retourner à mon écran. J’avais senti mes joues rougir imperceptiblement et une douce chaleur y monter – ce qui, en cette triste et froide journée hivernale, ne pouvait être qu’agréable. Je priai simplement pour qu’il ne le vît pas. En quelques secondes, il était opérationnel, et ses yeux étaient rivés sur son ordinateur, ses doigts longs et fins martelant mécaniquement les touches du clavier.
Il était beau ; pas ce genre de beauté presque efféminée ou plastique qu’on imprime sur les pages de magazines pour ados, non, c’était un charme singulier, que jamais, pour tout vous dire, je n’avais pu observer ailleurs, un charme simple – point trop n’en faut – qui, je crois pouvoir l’affirmer a posteriori, attirait mon regard vers son profil sérieux, serein. Des cheveux bruns, ondulés, soyeux, sans être trop longs, s’entremêlaient sur son crâne et semblaient se battre en permanence – ou défier manifestement la gravité – et retombaient sur ses oreilles ou son front, large front qui devait dissimuler une intelligence et une sensibilité sans précédents, mais sans doute incomprises. Sous ses arcades habillées par de longs sourcils foncés trônaient, côte à côte, deux perles d’obsidienne, parfaites, profondes, dans lesquelles semblaient se refléter toutes les merveilles du monde, toutes les émotions rencontrées par lui ou par ceux qu’il avait pu croiser. Elles lui donnaient un aspect on ne peut plus mystérieux, comme un meuble ancien qu’on clôt avec la ferme intention de ne plus jamais l’ouvrir et d’en faire un objet de décoration, témoin d’un passé qu’en dépit de nos connaissances théoriques nous ne connaissons pas. Et, Dieu le sait, on peut en cacher, en mettre à l’abri, des choses, des souvenirs, dans les tiroirs et placards d’un vieux meuble. Son nez – qu’en dire ? – était parfait, centré, proportionné, axe de la symétrie si harmonieuse de son visage, et autour duquel une barbe de quelques jours fleurissait joyeusement, sombre, sans être trop garnie et qui laissait ainsi entrevoir la peau claire de ses joues. Elle entourait des lèvres fines, roses, lesquelles, lorsqu’elles se tordaient majestueusement en un sourire rayonnant qui, par la même, faisait se plisser légèrement ses yeux, m’envoûtaient et faisaient disparaître le monde environnant, pour ne laisser plus que du vide autour de lui – et sa présence envahissait tout.
Rarement je l’avais approché de près, je me contentais souvent de l’observer lorsque nous nous croisions dans les couloirs, attendions le début des cours, ou lorsque je l’apercevais fortuitement et furtivement dans la cour ou le réfectoire. J’aurais pu un million de fois remercier le hasard qui avait fait que, ce jour-là, l’absence de ma voisine s’était accordée avec son retard inhabituel – ainsi qu’avec l’occasionnelle bonne humeur de la professeure qui lui avait autorisé l’entrée – et l’avait ainsi assis là, à une quinzaine de centimètres de moi, pour les deux heures à venir, voire le reste de la matinée. Ce fut la première fois que je distinguai la réelle couleur de ses iris enchanteurs, qui n’étaient en fait pas noirs, mais d’un brun noisette assez foncé, particulier, qui variait selon la lumière et l’angle, l’inclinaison de son visage par rapport à elle, virant d’une teinte de sienne presque ébène à un marron orangé, amande, clair et limpide. Cette variation selon l’intensité et le type de lumière semblait refléter ces regards profonds et dissimulateurs, ou ceux qui au contraire, grands ouverts, nous laissaient lire dans son âme comme dans un vieux grimoire en latin qui livrerait d’anciens secrets oubliés à celui ou celle qui saurait le déchiffrer.
Je pourrais parler d’hypnose, car le regarder, c’était me perdre en lui, m’oublier comme si j’étais le fardeau de trop face à une telle magnificence passive et modeste, l’habitante des galeries souterraines face à l’arpenteur céleste. Il prenait toute la place devant mes yeux et dans mon cœur ; rares étaient les secondes qui s’écoulaient sans que sa pensée ne me parvienne et ne me distraie : il était partout, tout le temps, parfois un peu lointain, parfois se rapprochant dangereusement, vile flamme – mais majestueuse, dansante, joyeuse, unique dans le mélange de ses teintes harmonieuses et singulières ! – frôlant et narguant mon cœur de bois et mon esprit de braises. Au lieu de me dérober et reculer, je m’abandonnais à son image, me lovais contre elle, et dès lors je n’existais plus, j’étais mineure partie de lui qu’on ne distinguait plus.
Sans doute n’était-il pas sans savoir l’effet qu’il pouvait avoir sur les gens, sans doute le lui avait-on déjà maintes fois fait remarquer, et quoi qu’il en soit, ce fut assez pour qu’il ne l’ignorât pas, mais insuffisant pour que cela tournât à de l’égocentrisme ou à un quelconque sentiment de supériorité, lesquels ne furent jamais présent en lui – ou invisibles, indiscernables – ; il était modeste, agissait au quotidien comme si sa prestance, sa présence et ses pensées n’avaient jamais impacté personne, et plaçait tout le monde au même niveau que lui bien que ce ne fût jamais le cas. Je n’affirme pas que personne ne le surpassât en aucun temps et aucun lieu, j’avance seulement le fait certain que, de toutes les personnes qui avaient un jour croisé ma sombre route sinueuse et perdue dans la campagne, en bord de plages désertes ou entre les montagnes escarpées et falaises vertigineuses, il était sans le moindre doute celle dont l’intelligence admirable excédait de loin celle des autres, celle qui m’avait, d’une singulière façon, le plus marquée.
Ce charme que beaucoup ne remarquaient pas, auquel certaines filles – légèrement midinettes, ou encore à baver comme des chiens devant le moindre « beau gosse » ou au contraire vrai homme, comme elles pouvaient dire – s’accrochaient comme des sangsues à la peau, et qu’elles lâchaient, ignoraient voire dénigraient dès qu’elles se rendaient compte qu’elles ne l’intéressaient pas et qu’il y avait en lui un trop grand mystère à élucider, se raccrochant alors à un garçon plastique et populaire qu’elles ne chercheraient pas à creuser – ou en qui il n’y avait rien à creuser – irradiait dans mon monde intérieur, et tout semblait plus beau, et il était inéluctable, et impossible à laisser de côté. C’est que sur son visage angélique se reflétait cette capacité à comprendre les gens, à sympathiser au sens premier du terme, à non pas seulement comprendre la souffrance qui pouvait accabler certaines existences un peu trop amples, mais à la partager avec elles, à en souffrir aussi, quitte à rajouter sur ses épaules une part du fardeau qui s’ajoutait aux siens, pour soulager ceux qui, plus frêles encore, allaient choir sous le poids. En fait, il y avait entre les fins traits de sa figure toute la profondeur de son âme.
(Âme que j’espérais qu’il mettait autant à son propre service qu’à celui des autres, même si c’est rarement le cas.)
Au final, il était là, et c’est moi qui n’écoutais plus le cours que d’une oreille distraite, mes doigts cavalant sur le clavier de manière anarchique, et créant sur mon document de texte des suites de caractères illisibles, des mots incompréhensibles – peut-être ne voulaient-ils plus rien dire sur le moment – qui s’accordaient et se complétaient pour décrire une suite d’évènements que mon cerveau allait occulter quelques dizaines de minutes plus tard, comme le voulait la coutume. La professeure parlait-elle une langue ancienne inconnue, ou étais-je tout bonnement devenue sourde ? Mon cerveau ne mettait plus les lettres sur les sons, les images sous les mots.
Je me risquai alors à l’entreprise la plus périlleuse de mon année, de ma vie peut-être, laquelle je ne me serais jamais crue capable d’accomplir, profitant du bref instant de pause que nous accordait notre professeure, qui affichait sur le tableau blanc la première diapositive du nouveau chapitre : je me tournai légèrement vers lui et, dans un élan de courage indicible qui me venait de profonds confins de mon être et dont je n’avais soupçonné l’existence avant ce moment, je lui adressai quelques mots à demi-voix.
– Tu voudras la fin du cours ?
Le drame. La crise intérieure. Ses pupilles se posèrent sur moi – et jamais je ne m’étais sentie aussi sereine sous le regard de quelqu’un ! Son regard était appuyé d’un de ses sourires caractéristiques qui me rendaient fébrile et que j’aurais pu appeler les « soleils » de ma journée lorsque j’avais la chance de les apercevoir, doublé d’une pointe de reconnaissance.
– Merci beaucoup, c’est adorable.
« Adorable ». Sa voix, sa voix ! un délice auditif, doux, qui m’envoûtait par les oreilles – quelles chances avais-je de lui échapper ? il avait mes sens totalement sous hypnose ! – et un ton sucré, pas mielleux, mais simple, léger, amical.
– On voit ça à la fin du cours ? me demanda-t-il, alors que je me remettais de mes transports imprévus, mon attention encore entièrement focalisée sur lui.
– Y a pas de soucis, lui souris-je, une joie indescriptible explosant en moi, détruisant l’équilibre rassurant qu’on met inconsciemment en place et qui n’est parfois tissé que de tristesse ou de nostalgie qui s’entremêlent, et me donnant envie de disparaître avant ladite fin du cours, de me muer dans un silence glacial, ou de ne plus m’arrêter de parler, et rire, et y être déjà, et le remercier pour avoir illuminé ma journée.
Après quoi, le silence était douloureux et reposant à la fois, à savoir lourd après la légèreté de sa voix, et indispensable pour que je retrouve mon calme et me prépare psychologiquement pour l’épreuve supplémentaire qui allait suivre. Cela me semblait à moi-même un tantinet ridicule, car cela n’allait durer que quelques secondes, le temps d’un simple transfert de fichier, de clé USB, avant que la récréation ne le fasse s’envoler à sa place habituelle, de l’autre côté de la salle, deux rangs devant moi. Qu’il allait être difficile de se devoir contenter de l’observer de dos alors qu’il allait avoir passé près de deux heures à côté de moi, de ne regarder que ses cheveux – aussi beaux étaient-ils – après avoir contemplé – discrètement – son profil, son nez, ses yeux, sa bouche ! J’allais pouvoir rêver plus encore qu’à l’accoutumée, nourrissant mes songes de ce que j’aurais vu ce jour, durant un cours de géographie quelque peu inintéressant transformé en un créneau que je n’allais pouvoir oublier.
Les trois quarts d’heure qui restaient devant nous s’écoulèrent anormalement vite, comme si le sablier s’était élargi et les grains de sables affinés, et que les minutes défilaient sans que le filtre temporel ne les tamise comme il le fait ordinairement. Avant d’avoir eu ne serait-ce que le temps de souffler, la sonnerie fit résonner son chant strident et bref, synonyme alors de libération, lorsqu’il fut celui de l’emprisonnement matinal deux heures auparavant. Libération douloureuse ce jour-là pour moi, cependant. Lorsque la professeure termina son cours et nous souhaita une bonne journée, empiétant comme toujours sur notre temps de pause, j’enregistrai mon document et m’apprêtai à lui demander s’il avait une clé pour le transfert lorsqu’il s’adressa à moi.
– Tu es sûre que cela ne te dérange pas ?
Il paraissait un peu gêné – ce qui ne le rendait pas moins charmant, au contraire – et ses jambes remuaient nerveusement sous la table quoique imperceptiblement, pourtant je ne sais ce qui fit que je le remarquai, car son visage ne le laissait qu’à peine transparaître.
– Pas du tout ! m’empressai-je de rétorquer, souriant malgré moi – c’est que je ne contrôlai plus rien, plus rien du tout – et lui présentant la paume de ma main pour qu’il y plaçât sa clé USB. Je ne te l’aurais pas proposé si ça me posait problème, lui assurai-je – et c’était vrai, je n’en pensais pas moins.
De toute façon, j’aurais fait n’importe quoi pour lui, et au vu des conversations que nous avons eu ensuite tout au long de l’année, de peux l’affirmer a posteriori sans en avoir le moindre doute. L’amour fait des choses folles, on se jetterait sous un train sans une once d’appréhension si cela pouvait nous donner quelque valeur aux yeux de celui qu’on a élu malgré nous, ou le sauver lui.
Il me remercia une fois de plus, me donnant son disque dur que je branchai sur mon ordinateur et sur lequel je déposai le fichier, le tout dans un silence qui était cette fois-ci léger et que briser n’aurait pas été affaire impossible, comme il m’avait semblé l’être un peu plus tôt. Je lui souris en le lui rendant.
– Merci beaucoup, c’est gentil, vraiment–
– Rien de plus normal, tu sais, l’interrompis-je sans même m’en vouloir ensuite, car cela le fit sourire de plus belle. Et puis… ce n’est franchement pas grand-chose, ajoutai-je en détournant le regard une seconde, avant de le regarder de nouveau.
¬– Certes, mais c’est déjà super. Tu n’étais pas obligée de proposer.
Il souriait toujours, et moi, je n’étais plus moi-même – lovestruck comme on pourrait dire –, sous le charme au point que j’avais l’impression de ne plus dépendre de moi, d’être une marionnette dont les ficelles étaient entre ses mains sans qu’il ne le sût. Cela peut paraître idiot, je le conçois, un peu cliché, stupide, mais je l’aimais – et l’aime encore – ainsi. J’exagère sans doute un peu, je disposais encore en partie de mon libre arbitre, mais disons qu’il n’avait qu’à parler pour que mes sens s’embrouillent, et il était paradoxalement le seul capable de m’éclairer. Il me plongeait dans une nuit sans lune tout en s’improvisant soleil dans mon ciel aux étoiles lointaines et apparentes pourtant.
J’étais indiciblement heureuse de l’avoir dépanné, d’avoir pu lui être d’une quelconque utilité bien que temporaire, et quelque part j’avais aussi un sentiment bizarre à l’idée que sur son ordinateur se trouvait désormais, perdu parmi le reste des cours, et de sa vie privée, et probablement pour une durée de quelques heures voire quelques jours tout au plus, un de mes fichiers. Il fallait bien que je m’accroche à quelque chose, au peu que nous partagions en réalité, mais qui représentait tout, car qu’avais-je d’autre ? C’est quelque chose difficilement compréhensible lorsqu’il ne s’agit pas de nous, ça semble « cucul la praline » alors que c’est parfois tout ce qu’on a, et donc le plus important. Et le plus petit d’apparence, est parfois le plus profond, de même que la petite pointe qui émerge de l’eau glaciale peut dissimuler un iceberg gigantesque – et face à lui, je ne serais pas moins fragile que le Titanic –, et que la petite plante cache peut-être les racines les plus développées – ou le fruit le plus gros, ou le plus sucré, le plus savoureux. On s’attache à des détails, qui n’ont de sens que pour nous, pas même peut-être pour la personne en face, ou alors sans que ce ne soit su ou convenu. Cela n’a rien d’éminemment incompréhensible, et je pourrais même comprendre qu’on soit prêt à tout pour acquérir un objet ayant appartenu à quelqu’un qu’on aime – cela se manifeste souvent pour une idole qui de loin nous fascine, mais Madame de Clèves, elle, s’était bien débrouillée pour récupérer la canne du duc de Nemours, lequel avait dérobé son portrait ! – ou ne serait-ce que quelque chose qu’il a touchée, possédée pendant quelque temps. Et quand on n’a pas d’éléments matériels, on se souvient des mots, des images, des sourires qui se sont évanouis et des regards qui ont disparu alors que la silhouette s’est éloignée dans la brume, lesquels nous rappellent tous qu’ils constituent des prises plus sûres encore, car là où s’attachent d’eux-mêmes l’esprit et la mémoire, les mains ne sont d’aucune utilité.
J’avais touché son disque dur. Il – lui et ses affaires – avait touché la même table que la mienne. Mon fichier était dans son ordinateur. Il m’avait regardée, parlé, remerciée, souri.
Nous avions quelques minutes en commun à notre effectif.
Il marchait sur le même sol que moi, respirait le même air, observait les mêmes paysages – et ce bien que rien de tout cela ne soit exactement pareil pour lui et moi puisque nos dispositions et perceptions modifient toutes choses et les transforment en représentations singulières inexprimables qui ne peuvent appartenir à nul autre dans leur identité. Notre salle de classe était différente pour lui, différente pour moi, comme l’étaient les rues de la ville que nous avions fréquentées sans savoir que l’autre le faisait – peut-être nous y étions-nous croisés avant de nous connaître, et souvent je me demandais s’il était un jour passé par là, ou là, et ce qu’il avait pensé, ou ce qu’il pensait à cet instant, quelles émotions se battaient ou se reposaient en lui, quels sentiments, quelles impressions, quelles questions sans réponses.
Des détails. Et ce terme est en lui-même contradictoire avec ce pour quoi nous les prenons – non pas que nous les confondions…