La chèvre de monsieur Seguin.
Publié : 19 août 2017, 15:37
Pour les petits merles qui n'aimaient pas, quand je leur lisais cette histoire, que la
petite chèvre meure et que le moment de plaisir finissait en pleurs...
J'ai réécrit ce texte à ma façon.
Qui a lu les lettres de mon moulin , a croisé sur son chemin la chèvre de Monsieur Seguin ,
où la petite bête blanche assoiffée de liberté heurte la route du monstre assoiffé de sang, et,
après une lutte sans merci, succombe aux petites heures du jour.
C'est la cruelle histoire de la vie, simulacre de la bêtise des hommes où l'histoire se répète
et s'abreuve du sang de ses congénères, combat après combat, siècle après siècle. Tout le livre
de l'humanité se résume en quelques mots : naissance, obéissance soumission, guerre,
esclavage et...mort . Pourquoi ne pourrait-on rêver d'un monde où, au lieu de faire peur aux enfants
par des récits sanglants, ceux -ci finiraient dans l'amitié et l'amour ? Dans un monde où tous
s'amuseraient sans larme de sang, sans haine, dans le mépris de l'enfer et de ses méfaits,
Pensant aux rires des enfants et à leurs yeux qui s'enflamment, nous allons réécrire l'histoire
de la chèvre de Monsieur Seguin.
…............................................................................................................................................
Dans des contrées où l'hiver est rude, où la vie est dure au cœur des hommes, où les revenus ne suffisent pas à nourrir l'être humain ; vivant seul dans sa petite chaumière au creux sombre d'une vallée entourée de hautes montagnes, monsieur Seguin végétait entre un jardin où grandissaient hirsutes quelques choux, quelques poireaux, un peu de betteraves et de pommes de terre... Son seul plaisir il le prenait d'une petite étable où, tous les soirs, il tirait le lait de sa fortune d'une chèvre blanche qu'il avait appelé Blanquette, et dont il se régalait.
Tout le jour Blanquette tournait et retournait ses pas dans un petit pré que son maître avait pris soin de clôturer hautement pour le sécuriser...Seule, la chèvre s'ennuyait, pleurait une liberté qu'elle imaginait superbe. Elle était l'esclave d'un homme qui ne la gardait près de lui que parce qu'elle lui fournissait le lait quotidien... Bien sur elle ne manquait de rien, eau, nourriture, quelques mots gentils, et la nuit, une étable fermée pour la préserver des crocs acérés des loups.
La légende courait la plaine comme un souffle d'air malfaisant que le loup, animal sanguinaire, se nourrissait du sang des moutons et des des chèvres. Tels les mauvais racontars , l'ours et le loup faisaient figure de monstres incapables de sentiment et d 'amour ; pourtant la légende dit aussi, que de sa vie, le loup n'est le mari que d'une seule louve qu'il aime et sert jusqu'à sa mort, ce que nombre d'êtres humains sont incapables de faire.
Bref, Monsieur Seguin gardait pour lui ce petit trésor de blancheur...Mais la bête, éprise de liberté, se mit subitement à dépérir. Elle refusa d'abord de s'alimenter, puis se coucha ne voulant plus sortir de l'étable... Un matin, elle fit la grève du lait.... Monsieur Seguin avait bien repéré le moral en baisse de la « cabrette », aussi l'interpella- t-il :
« Alors Blanquette!que ce passe-t-il, c'est fini, tu refuses de me servir mon lait ?
Quel ne fut pas sa surprise, d'entendre la bête lui répondre :
- Ah mon maître, je crois que je me meurs.
- Pourquoi mourrais-tu malheureuse ? Peut-être crois tu que je ne m'occupe pas assez de toi ? Que je te nourris mal, que ton étable est petite, trop sombre ?...Veux-tu que je fasse percer une autre fenêtre pour laisser passer la nuit et la lune?
- Cela ne servirait à rien mon maître...Il y a que je me meurs d'ennui.
- D'ennui ! Mais que veux-tu que je te donne de plus ?
- La liberté mon maître ! La liberté !
- La liberté malheureuse...mais tu n'y penses pas !
- Je veux être libre, je veux courir dans la vallée, escalader les roches les falaises jusqu'aux cols les plus hauts. Je veux, tel le chamois, sauter de glacis en glacis au risque de me rompre les os...Mais je veux mourir libre!
- Mais idiote, ne sais-tu pas que dans la montagne il y a le loup?Le loup assassin qui te dévorera !
- Je ferai comme dans les livres mon maître, je lui donnerai des coups de cornes.
- Oui, tu le feras ! Au petit jour tu finiras dévorée, ta belle fourrure blanche se couvrira du rouge de ton sang.
- Ce n'est qu'un livre mon maître, rien ne prouve que cela soit la réalité.
- Certes, ce n'est qu'un livre, mais souvent les écrits sont les reflets de la vie.
- Bon nombre d'eux sont le récit de contes fantastiques comme...comme le petit chaperon rouge.
- Je ne veux plus discuter avec toi, tu es trop obtuse !...Allons, reste dans le noir, cela te permettra
de méditer sur ton sort »
Sur ces mots, Maître Seguin sortit, poussa le battant de la porte, fit jouer la clé et, en bougonnant ; d'un pas rendu colérique par l'excentricité de la chèvre, rejoint la douce chaleur de son logis.
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Bien au chaud dans son lit, Monsieur Seguin dort du sommeil du juste...A quoi rêve-t-il? Il rêve d'un trou noir, où seul ne brille qu'un croissant de lune, rien ne bouge, pas même une feuille d'arbre... Puis il voit un aigle blanc franchir la nuit, son cri strident accrochant les oreilles...Soudain, le cri se transforme en un bêlement moqueur et il a l'impression que l'aigle vole sur quatre pattes et qu'il est muni de cornes...Il se réveille d'un coup, la tête lui tourne encore de sommeil, peu à peu ses sens reprennent le dessus...Il comprend son abominable erreur.Il a oublié de verrouiller la fenêtre, la chèvre a mis cette erreur à son profit pour s'envoler vers la liberté.
D'un bond hors de son lit, il court à l'étable...vide ! La fenêtre est ouverte, une touffe de poils s'agite accrochée à l'appui narguant en tremblant la vue du maître . La coquine venait de ramener ses rêves de liberté à la plus simple réalité... Dans le noir environnant, Maître Seguin se laissa aller à sa lassitude, s'adossant au mur froid en tentant de réfléchir.
« Blanquette ne peut aller très loin, songe-t-il, la nuit n'est pas d'un noir absolu mais la bête ne connaît pas la vallée, seul lui sont familier son pré et son étable...peut-être prendra-t-elle peur, peut-être n'est-ce qu'une escapade, et demain, le jour revenu, la chèvre sera de retour dans son enclos ».Sur ces pensées, qu'il trouvait charmantes, Maître Seguin retourna finir sa nuit, laissant l'étable ouverte .
…...............................................................................................................................................
La lune éclairait joyeusement les voiles nocturnes, quelques nuées éparses glissaient sur l'encre de la nuit faisant jouer à cache-cache l'astre lunaire ; un sinueux sentier trottait dans la vallée partant à l'assaut des contreforts rocheux... Peu à peu, la vue de Blanquette s'habituait à l'ombre, elle distinguait les reflets gris des roches, les buissons tendrement ballottés par la douce brise.Une main de velours semblait lustrer sa pelisse sous une caresse, elle était bien, elle était libre.
Pendant un temps qui lui parut infini, elle cabriola dans l'herbe haute, se roula au bord du ruisseau, mira son reflet sur la toile de l'eau, puis repue de ses jeux, elle s'assoupit un moment au cœur chaud d'un buisson.
Quand elle ouvrit les yeux, le soleil dessinait de ses fils d'argent le pourtour des cimes. Rapidement, le rose et l'or scintillèrent sur l'habit blanc des montagnes, puis le gris se prononça aux endroits désertés par les neiges... Inexorablement, le jour gagnait du terrain et bientôt la vallée, encore livrée aux griffes de la nuit, subirait à son tour les assauts d'un nouveau jour. ..Un coq chanta, un autre lui fit écho et toute la vallée fut livrée aux vocalises volaillères.
Blanquette se reput d'herbe fraîche, se désaltéra dans l'eau glacée d'un ru, puis sans un regard vers les maisons du hameau, elle s'élança vers les premières pentes...
Tout le jour elle s'enivra de soleil, de vent, de courses folles sur des pentes de plus en plus abruptes, de longs moments de repos à méditer sa joie nouvelle...Elle n'était plus la petite chèvre d'un seul maître, elle appartenait à la montagne, elle se voyait fille des hautes cimes, turbulente déesse des aiguilles et des pics...
Libre ! Elle était libre ! Quel bonheur !
Un moment elle s'immobilisa sur une corniche, plongeant son regard dans la vallée qui s'étalait loin en dessous... Elle reconnut le hameau, le clocher de la chapelle...Il lui sembla entendre une cloche... mais peut-être était-ce le vent qui cognait sur les roches.
Soudain elle la vit, un peu à l'écart du hameau, petite, minuscule, avec son pré guère plus grand qu'un timbre poste...Pour sur, si elle posait son sabot dessus, la chaumière disparaîtrait à tout jamais... Elle retint un éclat de rire. Comment avait-elle pu végéter dans un si petit clos ? Comment avait-elle pu dormir dans le jouet que lui semblait être l'étable?.. De dépit, elle tourna la tête, releva le regard et se laissa pénétrer par la grandeur des cimes...Elle reprit sa vaillante ascension.
Elle était montée haut, depuis longtemps l'herbe avait déserté les sols, les derniers pâturages verdissaient loin derrière, seul par endroit, dans des fissures, quelques brins s'accrochaient désespérément aux roches. Quelques mètres plus haut, ce furent les roches qui s'accrochèrent aux roches , nul herbe ne souillait le granit sur les pentes devenues verticales...infranchissables.
Blanquette dut se résoudre à rebrousser chemin ; mais le soir arrivait,la chèvre sentit sur elle le souffle frais qui annonçait la fin du jour, l'astre lumineux accentuait rapidement sa descente vers les ombres saturnales... Les roches se teintèrent de l'ocre et du roux du soleil couchant ; les vallées s'emplirent de brume puis de nuit, tandis que les cimes rayonnaient encore.
Tous les rayons s'éteignirent enfin comme des bougies soufflées par l'haleine du vent. Le noir glauque recouvrit les crêtes et comme les nuées tapissaient le ciel, nul astre dans la nuit ne dispensait sa lumière...Le froid s'accentua, la chèvre frissonna.Quelques gouttes tapèrent le sol et la pluie déversa ses pleurs sur les faces rocheuses les rendant glissantes.
Dans le noir Blanquette perdait ses repaires ; elle avait tellement tourné, sauté, cabriolé en tous sens durant toute la journée qu'elle était totalement désemparée au seuil de la nuit.Timidement, elle osa quelques pas , ses sabots dérapèrent sur les roches lisses,elle s'arc-bouta pour freiner sa chute, mais hélas le glacis, trop court, ne put la retenir...Elle chuta.
…...........................................................................................................................................
Combien de temps dura son inconscience ? Elle ne le sut pas .Lorsqu'elle reprit ses sens, elle avait très froid, elle voulut se lever mais une douleur aiguë l'immobilisa de suite...Elle tenta de se tourner sur le coté ...ses pattes arrières refusèrent de la suivre .
« Me voilà bien, se dit-elle, j'ignore totalement où je suis, je suis blessée, seule, perdue dans le froid, dans la nuit ...que vais-je devenir ? Moi qui est omis de prendre mon téléphone portable »
…..............................................................................................................................................
Soudain, elle sut qu'il était là...Ce fut d'abord un simple glissement contre les roches , quelques imperceptibles crissements des griffes sur les pierres, elle vit deux étoiles lumineuses se déplaçant près du sol... Elle ferma les yeux, elle n'aurait pas comme dans les livres le privilège de se battre jusqu'au matin, elle allait se faire égorger par le monstre... Le souffle d'une chaude haleine caressa son encolure.
« Pitié monsieur le loup, je suis une pauvre petite chose blessée ; s'il vous plaît ne me mangez pas ...je ne suis peut-être même pas comestible...pitié, s'il vous plaît »
Le loup partit d'un grand éclat de rire :
« Pourquoi te mangerais-je ? Après le festin de chamois que je viens de faire...Je crois que je reprends du poids moi, il faudra que je me pèse ; que crois-tu donc, je tiens à ma ligne, si je grossis trop je ne rentre plus dans mes fourrures et tout est ci cher de nos jours! »
Malgré le froid, malgré la douleur qu'elle ressentait, la chèvre esquissa un sourire qui se perdit dans le noir, ce fut le loup qui rompit le silence: « trêve de plaisanterie, on papote, on papote...mais à cette altitude, la pluie ne va pas tarder à tourner en neige, et nous allons geler ; ne crois-tu pas que nous serions mieux auprès d'un bon feu?
- Je ne puis plus bouger mes pattes sont blessées !
- Laisses moi voir
- Dans ce noir vous n'y verrez rien
- Ne sais-tu pas que comme le jour, j'y vois la nuit ?
Sur ces mots les yeux du loup comme deux lampes éclairèrent d'un faisceau l'encre nocturne . Il palpa délicatement les pattes de la chèvre .
- Aie ! Vous me faites mal !
- Mille excuses, je vois ce que c'est, il te faudrait de bons bandages, tu as du te faire une entorse, peut-être doublée d'une déchirure musculaire...Tes muscles n'étaient certainement pas habitués au sport que tu leurs a fait faire ce jour.
- Êtes vous médecin ?
- Hum...ce sont des petits rien que j'ai appris à l'école de dissection des animaux...Allons nous en d'ici avant que le froid n'est raison de nos os.
- Je ne peux pas bouger
- Je vais te porter...n'aie pas peur, je serai très doux.
Joignant le geste à la parole, le loup souleva la blessée, se glissa dessous, et l'emporta lentement sur son dos.
- Je vais aller doucement, mais si tu sens que tu glisses, ou si tu as peur, préviens moi. De toute façon, je n'habite pas très loin, nous serons vite rendus.
Ils marchèrent peu de temps en effet, puis le loup se baissa, sembla ramper quelques instant et déboucha dans une antre chaude. La chèvre sentit qu'on l'allongeait sur quelque chose de moelleux, de chaud, elle s'y blottit et, épuisée qu'elle était par sa folle journée, s'endormit de suite.
Maître loup se prit à sourire - Pauvre petite, murmura-t-il, reposes toi bien, demain sera un nouveau jour" Tendrement il la recouvrit d'une épaisse couverture, se coucha sur son canapé, et s'apprêta pour une nuit de veille.
petite chèvre meure et que le moment de plaisir finissait en pleurs...
J'ai réécrit ce texte à ma façon.
Qui a lu les lettres de mon moulin , a croisé sur son chemin la chèvre de Monsieur Seguin ,
où la petite bête blanche assoiffée de liberté heurte la route du monstre assoiffé de sang, et,
après une lutte sans merci, succombe aux petites heures du jour.
C'est la cruelle histoire de la vie, simulacre de la bêtise des hommes où l'histoire se répète
et s'abreuve du sang de ses congénères, combat après combat, siècle après siècle. Tout le livre
de l'humanité se résume en quelques mots : naissance, obéissance soumission, guerre,
esclavage et...mort . Pourquoi ne pourrait-on rêver d'un monde où, au lieu de faire peur aux enfants
par des récits sanglants, ceux -ci finiraient dans l'amitié et l'amour ? Dans un monde où tous
s'amuseraient sans larme de sang, sans haine, dans le mépris de l'enfer et de ses méfaits,
Pensant aux rires des enfants et à leurs yeux qui s'enflamment, nous allons réécrire l'histoire
de la chèvre de Monsieur Seguin.
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Dans des contrées où l'hiver est rude, où la vie est dure au cœur des hommes, où les revenus ne suffisent pas à nourrir l'être humain ; vivant seul dans sa petite chaumière au creux sombre d'une vallée entourée de hautes montagnes, monsieur Seguin végétait entre un jardin où grandissaient hirsutes quelques choux, quelques poireaux, un peu de betteraves et de pommes de terre... Son seul plaisir il le prenait d'une petite étable où, tous les soirs, il tirait le lait de sa fortune d'une chèvre blanche qu'il avait appelé Blanquette, et dont il se régalait.
Tout le jour Blanquette tournait et retournait ses pas dans un petit pré que son maître avait pris soin de clôturer hautement pour le sécuriser...Seule, la chèvre s'ennuyait, pleurait une liberté qu'elle imaginait superbe. Elle était l'esclave d'un homme qui ne la gardait près de lui que parce qu'elle lui fournissait le lait quotidien... Bien sur elle ne manquait de rien, eau, nourriture, quelques mots gentils, et la nuit, une étable fermée pour la préserver des crocs acérés des loups.
La légende courait la plaine comme un souffle d'air malfaisant que le loup, animal sanguinaire, se nourrissait du sang des moutons et des des chèvres. Tels les mauvais racontars , l'ours et le loup faisaient figure de monstres incapables de sentiment et d 'amour ; pourtant la légende dit aussi, que de sa vie, le loup n'est le mari que d'une seule louve qu'il aime et sert jusqu'à sa mort, ce que nombre d'êtres humains sont incapables de faire.
Bref, Monsieur Seguin gardait pour lui ce petit trésor de blancheur...Mais la bête, éprise de liberté, se mit subitement à dépérir. Elle refusa d'abord de s'alimenter, puis se coucha ne voulant plus sortir de l'étable... Un matin, elle fit la grève du lait.... Monsieur Seguin avait bien repéré le moral en baisse de la « cabrette », aussi l'interpella- t-il :
« Alors Blanquette!que ce passe-t-il, c'est fini, tu refuses de me servir mon lait ?
Quel ne fut pas sa surprise, d'entendre la bête lui répondre :
- Ah mon maître, je crois que je me meurs.
- Pourquoi mourrais-tu malheureuse ? Peut-être crois tu que je ne m'occupe pas assez de toi ? Que je te nourris mal, que ton étable est petite, trop sombre ?...Veux-tu que je fasse percer une autre fenêtre pour laisser passer la nuit et la lune?
- Cela ne servirait à rien mon maître...Il y a que je me meurs d'ennui.
- D'ennui ! Mais que veux-tu que je te donne de plus ?
- La liberté mon maître ! La liberté !
- La liberté malheureuse...mais tu n'y penses pas !
- Je veux être libre, je veux courir dans la vallée, escalader les roches les falaises jusqu'aux cols les plus hauts. Je veux, tel le chamois, sauter de glacis en glacis au risque de me rompre les os...Mais je veux mourir libre!
- Mais idiote, ne sais-tu pas que dans la montagne il y a le loup?Le loup assassin qui te dévorera !
- Je ferai comme dans les livres mon maître, je lui donnerai des coups de cornes.
- Oui, tu le feras ! Au petit jour tu finiras dévorée, ta belle fourrure blanche se couvrira du rouge de ton sang.
- Ce n'est qu'un livre mon maître, rien ne prouve que cela soit la réalité.
- Certes, ce n'est qu'un livre, mais souvent les écrits sont les reflets de la vie.
- Bon nombre d'eux sont le récit de contes fantastiques comme...comme le petit chaperon rouge.
- Je ne veux plus discuter avec toi, tu es trop obtuse !...Allons, reste dans le noir, cela te permettra
de méditer sur ton sort »
Sur ces mots, Maître Seguin sortit, poussa le battant de la porte, fit jouer la clé et, en bougonnant ; d'un pas rendu colérique par l'excentricité de la chèvre, rejoint la douce chaleur de son logis.
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Bien au chaud dans son lit, Monsieur Seguin dort du sommeil du juste...A quoi rêve-t-il? Il rêve d'un trou noir, où seul ne brille qu'un croissant de lune, rien ne bouge, pas même une feuille d'arbre... Puis il voit un aigle blanc franchir la nuit, son cri strident accrochant les oreilles...Soudain, le cri se transforme en un bêlement moqueur et il a l'impression que l'aigle vole sur quatre pattes et qu'il est muni de cornes...Il se réveille d'un coup, la tête lui tourne encore de sommeil, peu à peu ses sens reprennent le dessus...Il comprend son abominable erreur.Il a oublié de verrouiller la fenêtre, la chèvre a mis cette erreur à son profit pour s'envoler vers la liberté.
D'un bond hors de son lit, il court à l'étable...vide ! La fenêtre est ouverte, une touffe de poils s'agite accrochée à l'appui narguant en tremblant la vue du maître . La coquine venait de ramener ses rêves de liberté à la plus simple réalité... Dans le noir environnant, Maître Seguin se laissa aller à sa lassitude, s'adossant au mur froid en tentant de réfléchir.
« Blanquette ne peut aller très loin, songe-t-il, la nuit n'est pas d'un noir absolu mais la bête ne connaît pas la vallée, seul lui sont familier son pré et son étable...peut-être prendra-t-elle peur, peut-être n'est-ce qu'une escapade, et demain, le jour revenu, la chèvre sera de retour dans son enclos ».Sur ces pensées, qu'il trouvait charmantes, Maître Seguin retourna finir sa nuit, laissant l'étable ouverte .
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La lune éclairait joyeusement les voiles nocturnes, quelques nuées éparses glissaient sur l'encre de la nuit faisant jouer à cache-cache l'astre lunaire ; un sinueux sentier trottait dans la vallée partant à l'assaut des contreforts rocheux... Peu à peu, la vue de Blanquette s'habituait à l'ombre, elle distinguait les reflets gris des roches, les buissons tendrement ballottés par la douce brise.Une main de velours semblait lustrer sa pelisse sous une caresse, elle était bien, elle était libre.
Pendant un temps qui lui parut infini, elle cabriola dans l'herbe haute, se roula au bord du ruisseau, mira son reflet sur la toile de l'eau, puis repue de ses jeux, elle s'assoupit un moment au cœur chaud d'un buisson.
Quand elle ouvrit les yeux, le soleil dessinait de ses fils d'argent le pourtour des cimes. Rapidement, le rose et l'or scintillèrent sur l'habit blanc des montagnes, puis le gris se prononça aux endroits désertés par les neiges... Inexorablement, le jour gagnait du terrain et bientôt la vallée, encore livrée aux griffes de la nuit, subirait à son tour les assauts d'un nouveau jour. ..Un coq chanta, un autre lui fit écho et toute la vallée fut livrée aux vocalises volaillères.
Blanquette se reput d'herbe fraîche, se désaltéra dans l'eau glacée d'un ru, puis sans un regard vers les maisons du hameau, elle s'élança vers les premières pentes...
Tout le jour elle s'enivra de soleil, de vent, de courses folles sur des pentes de plus en plus abruptes, de longs moments de repos à méditer sa joie nouvelle...Elle n'était plus la petite chèvre d'un seul maître, elle appartenait à la montagne, elle se voyait fille des hautes cimes, turbulente déesse des aiguilles et des pics...
Libre ! Elle était libre ! Quel bonheur !
Un moment elle s'immobilisa sur une corniche, plongeant son regard dans la vallée qui s'étalait loin en dessous... Elle reconnut le hameau, le clocher de la chapelle...Il lui sembla entendre une cloche... mais peut-être était-ce le vent qui cognait sur les roches.
Soudain elle la vit, un peu à l'écart du hameau, petite, minuscule, avec son pré guère plus grand qu'un timbre poste...Pour sur, si elle posait son sabot dessus, la chaumière disparaîtrait à tout jamais... Elle retint un éclat de rire. Comment avait-elle pu végéter dans un si petit clos ? Comment avait-elle pu dormir dans le jouet que lui semblait être l'étable?.. De dépit, elle tourna la tête, releva le regard et se laissa pénétrer par la grandeur des cimes...Elle reprit sa vaillante ascension.
Elle était montée haut, depuis longtemps l'herbe avait déserté les sols, les derniers pâturages verdissaient loin derrière, seul par endroit, dans des fissures, quelques brins s'accrochaient désespérément aux roches. Quelques mètres plus haut, ce furent les roches qui s'accrochèrent aux roches , nul herbe ne souillait le granit sur les pentes devenues verticales...infranchissables.
Blanquette dut se résoudre à rebrousser chemin ; mais le soir arrivait,la chèvre sentit sur elle le souffle frais qui annonçait la fin du jour, l'astre lumineux accentuait rapidement sa descente vers les ombres saturnales... Les roches se teintèrent de l'ocre et du roux du soleil couchant ; les vallées s'emplirent de brume puis de nuit, tandis que les cimes rayonnaient encore.
Tous les rayons s'éteignirent enfin comme des bougies soufflées par l'haleine du vent. Le noir glauque recouvrit les crêtes et comme les nuées tapissaient le ciel, nul astre dans la nuit ne dispensait sa lumière...Le froid s'accentua, la chèvre frissonna.Quelques gouttes tapèrent le sol et la pluie déversa ses pleurs sur les faces rocheuses les rendant glissantes.
Dans le noir Blanquette perdait ses repaires ; elle avait tellement tourné, sauté, cabriolé en tous sens durant toute la journée qu'elle était totalement désemparée au seuil de la nuit.Timidement, elle osa quelques pas , ses sabots dérapèrent sur les roches lisses,elle s'arc-bouta pour freiner sa chute, mais hélas le glacis, trop court, ne put la retenir...Elle chuta.
…...........................................................................................................................................
Combien de temps dura son inconscience ? Elle ne le sut pas .Lorsqu'elle reprit ses sens, elle avait très froid, elle voulut se lever mais une douleur aiguë l'immobilisa de suite...Elle tenta de se tourner sur le coté ...ses pattes arrières refusèrent de la suivre .
« Me voilà bien, se dit-elle, j'ignore totalement où je suis, je suis blessée, seule, perdue dans le froid, dans la nuit ...que vais-je devenir ? Moi qui est omis de prendre mon téléphone portable »
…..............................................................................................................................................
Soudain, elle sut qu'il était là...Ce fut d'abord un simple glissement contre les roches , quelques imperceptibles crissements des griffes sur les pierres, elle vit deux étoiles lumineuses se déplaçant près du sol... Elle ferma les yeux, elle n'aurait pas comme dans les livres le privilège de se battre jusqu'au matin, elle allait se faire égorger par le monstre... Le souffle d'une chaude haleine caressa son encolure.
« Pitié monsieur le loup, je suis une pauvre petite chose blessée ; s'il vous plaît ne me mangez pas ...je ne suis peut-être même pas comestible...pitié, s'il vous plaît »
Le loup partit d'un grand éclat de rire :
« Pourquoi te mangerais-je ? Après le festin de chamois que je viens de faire...Je crois que je reprends du poids moi, il faudra que je me pèse ; que crois-tu donc, je tiens à ma ligne, si je grossis trop je ne rentre plus dans mes fourrures et tout est ci cher de nos jours! »
Malgré le froid, malgré la douleur qu'elle ressentait, la chèvre esquissa un sourire qui se perdit dans le noir, ce fut le loup qui rompit le silence: « trêve de plaisanterie, on papote, on papote...mais à cette altitude, la pluie ne va pas tarder à tourner en neige, et nous allons geler ; ne crois-tu pas que nous serions mieux auprès d'un bon feu?
- Je ne puis plus bouger mes pattes sont blessées !
- Laisses moi voir
- Dans ce noir vous n'y verrez rien
- Ne sais-tu pas que comme le jour, j'y vois la nuit ?
Sur ces mots les yeux du loup comme deux lampes éclairèrent d'un faisceau l'encre nocturne . Il palpa délicatement les pattes de la chèvre .
- Aie ! Vous me faites mal !
- Mille excuses, je vois ce que c'est, il te faudrait de bons bandages, tu as du te faire une entorse, peut-être doublée d'une déchirure musculaire...Tes muscles n'étaient certainement pas habitués au sport que tu leurs a fait faire ce jour.
- Êtes vous médecin ?
- Hum...ce sont des petits rien que j'ai appris à l'école de dissection des animaux...Allons nous en d'ici avant que le froid n'est raison de nos os.
- Je ne peux pas bouger
- Je vais te porter...n'aie pas peur, je serai très doux.
Joignant le geste à la parole, le loup souleva la blessée, se glissa dessous, et l'emporta lentement sur son dos.
- Je vais aller doucement, mais si tu sens que tu glisses, ou si tu as peur, préviens moi. De toute façon, je n'habite pas très loin, nous serons vite rendus.
Ils marchèrent peu de temps en effet, puis le loup se baissa, sembla ramper quelques instant et déboucha dans une antre chaude. La chèvre sentit qu'on l'allongeait sur quelque chose de moelleux, de chaud, elle s'y blottit et, épuisée qu'elle était par sa folle journée, s'endormit de suite.
Maître loup se prit à sourire - Pauvre petite, murmura-t-il, reposes toi bien, demain sera un nouveau jour" Tendrement il la recouvrit d'une épaisse couverture, se coucha sur son canapé, et s'apprêta pour une nuit de veille.