Brancardier !
Être de ces métiers qu'on hurle. Drôle de nom, presque un verbe. Toujours agir, dans l'urgence, dans l'enjeu. Éviter d'abord de devenir son propre client. Alors attendre, attendre que les balles cessent de siffler, que les obus cessent de tomber. Attendre l'étincelle de silence qui donnera l'illusion de la sécurité, puis foncer. Mais avant cela accepter, accepter que pendant que l'on se planque et qu'on emmagasine le courage qui permettra de partir une nouvelle fois, accepter que pendant ce temps-là, lui, là-bas, mourra peut-être. Lui qui aurait pu vivre si le courage était venu plus vite.
Foncer donc. Jamais seul. Avec l'autre, devant ou derrière. Courir sans s'essouffler. Le souffle, il en faudra pour plus tard. Entre les mains l'outil le plus simple qui soit : deux bâtons, un drap. Un drap du dessous, de ceux qui laissent encore un espoir : l'espoir d'échapper au drap du dessus recouvert de terre.
Foncer avec l'autre jusqu'à la tranchée. Le dos courbé, la tête baissée, comme si les balles allaient avoir le bon goût de passer au-dessus. Ignorer l'odeur métallique du sang, la violence des fluides de la vie qui vous prennent à la gorge lorsqu'ils deviennent des humeurs de mort. Écouter les cris, les murmures, repérer les blessés.
Choisir alors. Choisir qui restera là à mourir. Choisir qui vivra peut-être. Puis charger enfin. Deux bâtons, un drap, un corps, instable, pesant, qui ne demande qu'à verser. C'est lourd un corps de soldat. Il y a le casque, l'arme, le barda. Étonnant comme ils s'agrippent souvent à leur barda. Dans ces moments-là, on s'agrippe à ce qu'on peut.
Assurer sa prise. Assurer, alors que les mains deviennent moites, que les reins s'étirent en une sourde douleur. Caler le rythme de ses pas dans celui de l'autre pour diminuer les heurts. Garder les yeux rivés sur le sol pour éviter la chute. Assurer malgré la boue, les bombes qui reprennent et les tripes indécentes du client qui ballottent au gré de la course.
Tenir. Tenir tout le long du chemin du retour. Tenir à bout de bras cette vie improbable. Oublier les muscles qui durcissent, le cœur qui s'emballe et la sueur qui coule sous le casque lourd.
Puis délivrer le colis au chirurgien, à celui qui remettra peut-être les tripes du client à leur juste place. Poser le brancard, reprendre son souffle et son courage, jusqu'au prochain cri :
Brancardier !
Brancardier
- Mr Strangeweather
- Pie volage
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Brancardier
Dernière modification par Mr Strangeweather le 23 mai 2016, 20:16, modifié 1 fois.
They are driven by a strange desire, unseen by the human eye.
Re: Brancardier
Un appel ou un dernier souffle ?
Beau texte, bien écrit, je dirais presque, je sens la réalité.
Je suivrai les autres
L'atelier d'écriture doit être une bonne école.
Je remarque l'absence des traits d’union au-dessus, moment-là. Je ne fais pas de zèle, c'est simplement pour montrer que j'ai écouté ton texte avec énormément d'attention.
Beau texte, bien écrit, je dirais presque, je sens la réalité.
Je suivrai les autres
L'atelier d'écriture doit être une bonne école.
Je remarque l'absence des traits d’union au-dessus, moment-là. Je ne fais pas de zèle, c'est simplement pour montrer que j'ai écouté ton texte avec énormément d'attention.
- Mr Strangeweather
- Pie volage
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Re: Brancardier
Merci pour ces retours. Je corrige de suite les traits d'union manquants.
They are driven by a strange desire, unseen by the human eye.