Je ne suis pas certaine que ce texte soit abouti. Mais j'ai envie de le déposer quand même. Une fois planté, il ne peut que germer... !
LA LECON DE PIANO
"Aujourd'hui, c'est «
Premier chagrin » de Robert Schuman. Sous l'oeil strict du maître de piano, exécutant les premières mesures, elle sent dans son dos, sur ses mains, quelques commentaires naissants et pourtant muets. Toutefois elle essaie. Ce n'est pas sans travail, elle est sévère avec elle-même mais vraiment non, rien à faire.
Les touches légères et suaves se dérobent sous ses doigts, coincent un arpège savamment travaillé, qui ne passe pas. De profondeur, on n'entend qu'un gargouillis de notes sombres. Elle, elle aime surtout la matière de ce grand piano droit : ça glisse comme la soie, ça brille comme l'ébène et c'est beau. Elle entend des airs, se passionne pour Chopin, Satie, blues et jazz à la fois. Mais elle a beau faire, l'arithmétique du solfège reste du chinois.
-
Moderato !
Moderato ! dit le professeur et n'oublie pas : accord de 9ème, ton si bémol majeur 7 passe en 5 sinon tu ne tiendras pas la fin de la mesure.
L'ergonomie des doigts est si fastidieuse à étudier !
- Du 5 au 1, martèle le maître, du 2 au 4 et on revient par une rotation du pouce au 3. Attention à ton poignet ! Pose ton coude !
Crescendo ! Rotation ! Arpège final !
Decrescendo... ! Le
bécarre !!! Le
bécarre !!! s'étrangle le maître.
Il finit toujours par s'irriter mais en jeune homme réservé, il n'a jamais vraiment l'air fâché.
- Reprenons !
Mesure 20, pense au
bécarre !! se dit-elle rudement. Cette mélodie pour enfant, elle n'y arrive même pas.
Poco più lento, indique la partition, juste à cet endroit. Elle joue
forte, impactant la note sans subtilité là on l'on exige une pleine légereté.
- La pédale ! Ton coude ! Rotation poignet !
Bémol 7 ! Et...
crescendo !! vibre le professeur, exalté mais dépité tout aussitôt par une malencontreuse note écrasée. Et on n'est qu'à la moitié !..
Et tandis que Schuman se répand dans l'air, massacré, que la mélodie expire dans un
vibrato raté, dans sa tête, tourbillonnent les sons légers de la valse de Satie, les pleurs du
Prélude 1, de Chopin, un fameux ragtime et son rythme syncopé...
- C'est tout pour aujourd'hui, dit le maître, faisant taire par là même la procession de sons funèbres. Ces sons n'existent pas chez ce musicien. Reviens demain. Travaille ton morceau, surtout le
crescendo et pense à la position de tes mains.
Elle donne son billet de vingt, salue à peine, morose et gênée de ne pas réussir à être l'élève modèle, l'élève virtuose qu'il aurait formé.
Plus tard, elle se rend à la banque, au distributeur, tape son code avec brio, tout en dextérité, respectant les doigtés. Majeur sur le 9, index sur le 2 etc... Un peu lassée, elle suit le cours, inexorable, de son compte débité... decrescendo total !... prend les billets.
Et elle s'en va, la tête remplie de ce petit air pianoté qui lui vaudra … beaucoup de travail... jusqu'à la prochaine fois."