Allez, suite de l'histoire :
chapitre 3 !
Ch 3
" De Varque ouvrit la porte et s'effaça pour laisser entrer la jeune femme. Le vestibule, petit et tout juste garni d'un porte-manteau surchargé empestait le chien ; les vitres avaient gardé la buée dégagée par sa gueule ; les traces de pattes, terreuses, salissaient la partie centrale des carreaux. Ils franchirent très vite le seuil d'une grande pièce, une sorte de salle à manger très richement meublée, encombrée presque, d'un haut mobilier en bois massif et foncé. Une belle cheminée ornait le centre de la salle. L'ensemble n'était guère chaleureux et la lumière naturelle, plutôt chiche, obombrait les meubles, décuplant leurs formes imposantes.
- Vois rien !
De Varque pressa un interrupteur et un plafonnier jaunâtre éclaira la vaste pièce. Puis il se dirigea vers deux lampes à pied disposées de part et d'autre de la grande salle et les alluma toutes deux. Même avec ces trois points d'éclairage, l'endroit demeurait inhospitalier à cette heure où la lumière du jour décroît mais où la nuit n'est pas encore venue, à une heure où la lumière artificielle n'a pas gagné toute sa luminosité et répand plutôt une sorte de lueur blafarde et pisseuse. Elle n'était pas rassurée par cette drôle de maison, ce drôle de bonhomme et ce chien menaçant. Cependant, elle n'avait ni osé s'enfuir ni osé crier tant l'étrangeté de la situation l'avait surprise. C'était la première fois que cela lui arrivait. Personne ne savait où elle était partie et cela avivait son anxiété. Ce samedi-là, aucun de ses amis, collègues ou proches n'avaient connaissance de son emploi du temps. Elle vivait seule, personne ne l'attendait. Elle avait garé sa voiture assez loin, en contre bas du village puis s'était dirigée à pied vers « L'Oustalet », seulement guidée par les notes explicatives que la Commission de recherches avait enregistrées sur le site de l'association. Le téléphone était finalement l'occasion de se faire localiser et d'essayer de traduire, à propos couverts, la difficulté de sa situation.
Allez, faut téléphoner, maintenant ! fit le vieux avec une sorte d'aspiration de la bouche, comme s'il eût craché plutôt que de parler.
La jeune femme se dirigea vers un guéridon, un téléphone y était posé.
- Puis-je m'asseoir ?
- Allez, allez oui ! Verre d'eau ou autre chose ? Et il laissa traîner ces derniers mots, comme s'il attendait qu'elle répondît tout de suite.
Varque s'adressait à elle plutôt aimablement, remarqua-t-elle. Même, il avait l'air plus gentil, presque joyeux. En souriant, il continua :
- Martini ? Porto ? Kir ? On peut. On va boire l'apéritif.
Et il se dirigea vers un meuble bas dont il ouvrit la porte. Par un geste ample de la main, il désigna de nombreuses bouteilles, rangées sur les deux étagères. Et il eut un geste vif, une sorte de mouvement en avant comme s'il lançait quelque chose en l'air et même un petit rire. Ca semblait vouloir dire qu'il y avait beaucoup de choix.
- Venez ! Venez y voir ! Vous pouvez choisir. Ah ça ! Y'en a là-dedans !
Il avait pris un air presque guilleret, à la manière d'un bonhomme fruste qui se réjouit à l'idée de montrer des victuailles chèrement acquises à son hôte, comme si c'était un privilège d'en posséder autant. Etait-ce la promesse d'une saoulerie à venir qui le réjouissait autant ? Il semblait très gai de pouvoir enivrer un de ses invités, de lui faire bénéficier de ses largesses comme s'il avait été très riche. Clara acquiesça du regard, faisant mine d'admirer ce qu'il lui montrait mais déclara qu'elle préférait un jus de fruits.
L'homme parut décontenancé puis surpris, puis désabusé. Il se dirigea vers un haut vaisselier pour prendre deux verres et disparut, certainement dans une sorte d'arrière-cuisine d'où elle distingua nettement le bruit d'une porte de frigidaire qu'on ouvre et qu'on ferme. Dans ce genre de demeure, la cuisine n'est jamais la pièce voisine d'une grande salle à manger. Puis il revint dans la pièce, portant dans ses larges mains, les jus de fruits.
Clara avait ouvert son téléphone et déroulait la liste de ses contacts.
- Je peux téléphoner alors ?
- Oui. A qui ?
- A deux de mes confrères. Nous travaillons dans la même zone géographique, ils sont historiographes, comme moi.
- Ils savent pour le mort ? Ils savent que vous êtes là ?
- Oui.
- Alors, appelez-les. Appelez ! Je sers un petit coup pendant ce temps-là !
- Je... Je prends le mien ?
- Le mien de ?
- Mon téléphone.
- Non ! J'vous ai dit qu' y' avait pas de réseau !
De Varque fit tinter une bouteille de ce qui semblait être un vin cuit contre son verre et se servit. Puis, il demanda si elle préférait du jus d'orange ou d'ananas et ce faisant, il prit un air dégoûté en désignant les deux briques de jus de fruits, d' un air pincé et comique comme s'il dédaignait d'accorder, à ces deux boissons, un quelconque intérêt. Il se leva pour apporter un verre plein à Clara puis s'enquit, en furetant à nouveau dans le vaisselier, de garnir un petit plat de gâteaux apéritifs qu'il disposa tout près d'elle, sur une console, près du guéridon. Puis il prit une chaise, son verre et s'assit près d'elle, l'air satisfait.
- Allez, on trinque Madame Desmarts !
De l'homme inquiétant de tout à l'heure, il ne subsistait rien. De Varque avait l'air tout à fait réjoui à présent. Son regard était devenu rieur et le bonhomme lui souriait largement esquissant des gestes volubiles et assez drôles en désignant les deux verres. Plusieurs fois, il mima de l'index le fait qu'ils allaient boire ensemble et son doigt allait et venait entre elle et lui, dans un va-et-vient incessant accompagné d'un hochement de tête de contentement.C'était rassurant. Maintenant, la nuit tombait rapidement. Les lampes du salon et le lustre du plafond rayonnaient de lumière. La salle avait quitté son atmosphère sombre et une luminosité plus vive, moins fantoche, plus agréable la rendait beaucoup plus accueillante.
Après avoir trinqué, Clara but quelques gorgées et en masquant du mieux qu'elle pût le léger tremblement de ses mains, elle reposa son verre sur le guéridon, se saisit du combiné et composa le premier numéro. "