Poésies (mont)parnassiennes

En vers ou en prose !
Avatar de l’utilisateur
Montparnasse
Administrateur
Messages : 4239
Inscription : 04 janvier 2016, 18:20
Localisation : Balaruc-les-Bains (34)
Contact :

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

DÉJÀ !

Cent fois déjà le soleil avait jailli, radieux ou attristé, de cette cuve immense de la mer dont les bords ne se laissent qu’à peine apercevoir ; cent fois il s’était replongé, étincelant ou morose, dans son immense bain du soir. Depuis nombre de jours, nous pouvions contempler l’autre côté du firmament et déchiffrer l’alphabet céleste des antipodes. Et chacun des passagers gémissait et grognait. On eût dit que l’approche de la terre exaspérait leur souffrance. « Quand donc », disaient-ils, « cesserons-nous de dormir un sommeil secoué par la lame, troublé par un vent qui ronfle plus haut que nous ? Quand pourrons-nous digérer dans un fauteuil immobile ? »

Il y en avait qui pensaient à leur foyer, qui regrettaient leurs femmes infidèles et maussades, et leur progéniture criarde. Tous étaient si affolés par l’image de la terre absente, qu’ils auraient, je crois, mangé de l’herbe avec plus d’enthousiasme que les bêtes.

Enfin un rivage fut signalé ; et nous vîmes, en approchant, que c’était une terre magnifique, éblouissante. Il semblait que les musiques de la vie s’en détachaient en un vague murmure, et que de ces côtes, riches en verdures de toute sorte, s’exhalait, jusqu’à plusieurs lieues, une délicieuse odeur de fleurs et de fruits.

Aussitôt chacun fut joyeux, chacun abdiqua sa mauvaise humeur. Toutes les querelles furent oubliées, tous les torts réciproques pardonnés ; les duels convenus furent rayés de la mémoire, et les rancunes s’envolèrent comme des fumées.

Moi seul j’étais triste, inconcevablement triste. Semblable à un prêtre à qui on arracherait sa divinité, je ne pouvais, sans une navrante amertume, me détacher de cette mer si monstrueusement séduisante, de cette mer si infiniment variée dans son effrayante simplicité, et qui semble contenir en elle et représenter par ses jeux, ses allures, ses colères et ses sourires, les humeurs, les agonies et les extases de toutes les âmes qui ont vécu, qui vivent et qui vivront !

En disant adieu à cette incomparable beauté, je me sentais abattu jusqu’à la mort ; et c’est pourquoi, quand chacun de mes compagnons dit : « Enfin ! » je ne pus crier que : « Déjà ! »

Cependant c’était la terre, la terre avec ses bruits, ses passions, ses commodités, ses fêtes ; c’était une terre riche et magnifique, pleine de promesses, qui nous envoyait un mystérieux parfum de rose et de musc, et d’où les musiques de la vie nous arrivaient en un amoureux murmure.

(C. Baudelaire, Le Spleen de Paris, 1869)
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
Avatar de l’utilisateur
Loustic
Mouette rieuse
Messages : 191
Inscription : 15 mars 2016, 10:43

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Loustic »

De vertu, il est trop tard, de vin, je ne bois pas... de poésie ! pourquoi pas.
Le nègre en littérature c'est un blanc qui travaille au noir pour un écrivain marron ! (Popeck)
Avatar de l’utilisateur
Montparnasse
Administrateur
Messages : 4239
Inscription : 04 janvier 2016, 18:20
Localisation : Balaruc-les-Bains (34)
Contact :

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

LES BIENFAITS DE LA LUNE

La Lune, qui est le caprice même, regarda par la fenêtre pendant que tu dormais dans ton berceau, et se dit : « Cette enfant me plaît. »

Et elle descendit moelleusement son escalier de nuages et passa sans bruit à travers les vitres. Puis elle s’étendit sur toi avec la tendresse souple d’une mère, et elle déposa ses couleurs sur ta face. Tes prunelles en sont restées vertes, et tes joues extraordinairement pâles. C’est en contemplant cette visiteuse que tes yeux se sont si bizarrement agrandis ; et elle t’a si tendrement serrée à la gorge que tu en as gardé pour toujours l’envie de pleurer.

Cependant, dans l’expansion de sa joie, la Lune remplissait toute la chambre comme une atmosphère phosphorique, comme un poison lumineux ; et toute cette lumière vivante pensait et disait : « Tu subiras éternellement l’influence de mon baiser. Tu seras belle à ma manière. Tu aimeras ce que j’aime et ce qui m’aime : l’eau, les nuages, le silence et la nuit ; la mer immense et verte ; l’eau uniforme et multiforme ; le lieu où tu ne seras pas ; l’amant que tu ne connaîtras pas ; les fleurs monstrueuses ; les parfums qui font délirer ; les chats qui se pâment sur les pianos et qui gémissent comme les femmes, d’une voix rauque et douce !

« Et tu seras aimée de mes amants, courtisée par mes courtisans. Tu seras la reine des hommes aux yeux verts dont j’ai serré aussi la gorge dans mes caresses nocturnes ; de ceux-là qui aiment la mer, la mer immense, tumultueuse et verte, l’eau informe et multiforme, le lieu où ils ne sont pas, la femme qu’ils ne connaissent pas, les fleurs sinistres qui ressemblent aux encensoirs d’une religion inconnue, les parfums qui troublent la volonté, et les animaux sauvages et voluptueux qui sont les emblèmes de leur folie. »

Et c’est pour cela, maudite chère enfant gâtée, que je suis maintenant couché à tes pieds, cherchant dans toute ta personne le reflet de la redoutable Divinité, de la fatidique marraine, de la nourrice empoisonneuse de tous les lunatiques.

(C. Baudelaire, Le Spleen de Paris, 1869)
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
Avatar de l’utilisateur
Liza
Grand condor
Messages : 1539
Inscription : 31 janvier 2016, 13:44
Localisation : France

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Liza »

Finalement, Beaudelaire a du charme dans son écriture. Une fois dans ma cellule, je vais m'en gaver. Il y en certainement dans notre bibliothèque sonore.
On ne me donne jamais rien, même pas mon âge !
 
Ma page Spleen...
Avatar de l’utilisateur
Montparnasse
Administrateur
Messages : 4239
Inscription : 04 janvier 2016, 18:20
Localisation : Balaruc-les-Bains (34)
Contact :

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

Il te reste à découvrir certaines parties des « Fleurs du mal » (certaines pièces sont très sombres, licencieuses, etc.) que je n'ai pas encore mises. Je te conseille l'édition de 1861 pour les corrections de l'auteur et celle de 1857 pour les pièces interdites. Il n'existe aucune édition définitive faite par l'auteur puisque celui-ci a été contraint de remplacer certaines pièces par d'autres suite à sa condamnation. Ici, il manque la fin des poèmes en prose (ou « Le Spleen de Paris»), je vais compléter.
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
Avatar de l’utilisateur
romithefox
Mouette rieuse
Messages : 168
Inscription : 01 août 2016, 13:37

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par romithefox »

Faut que je m'attarde plus souvent dans cette section du forum, magnifique passage !
Avatar de l’utilisateur
Montparnasse
Administrateur
Messages : 4239
Inscription : 04 janvier 2016, 18:20
Localisation : Balaruc-les-Bains (34)
Contact :

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

Celui-ci résonna en moi comme un appel. J'en ai déjà parlé. Il est simple et beau ; c'est pourquoi il a fait mouche dans mon âme d'adolescent profane. Avant lui, je ne connaissais rien. Il a fait vibrer en moi une corde qui n'avait jamais vibré et dont l'écho se propage encore aujourd'hui. L'esthétique baudelairienne me marqua irrémédiablement et jamais rien ne put la remplacer.


LE PORT

Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie. L’ampleur du ciel, l’architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le scintillement des phares, sont un prisme merveilleusement propre à amuser les yeux sans jamais les lasser. Les formes élancées des navires, au gréement compliqué, auxquels la houle imprime des oscillations harmonieuses, servent à entretenir dans l’âme le goût du rhythme et de la beauté. Et puis, surtout, il y a une sorte de plaisir mystérieux et aristocratique pour celui qui n’a plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché dans le belvédère ou accoudé sur le môle, tous ces mouvements de ceux qui partent et de ceux qui reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de s’enrichir.

(C. Baudelaire, Le Spleen de Paris, 1869)
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
Avatar de l’utilisateur
Liza
Grand condor
Messages : 1539
Inscription : 31 janvier 2016, 13:44
Localisation : France

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Liza »

Je cherche un port !
On ne me donne jamais rien, même pas mon âge !
 
Ma page Spleen...
Avatar de l’utilisateur
Montparnasse
Administrateur
Messages : 4239
Inscription : 04 janvier 2016, 18:20
Localisation : Balaruc-les-Bains (34)
Contact :

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

En attendant, tu as atteint 700 messages !
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
Avatar de l’utilisateur
Liza
Grand condor
Messages : 1539
Inscription : 31 janvier 2016, 13:44
Localisation : France

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Liza »

C'est beaucoup trop. J'espère qu'ils disent quelques choses !
On ne me donne jamais rien, même pas mon âge !
 
Ma page Spleen...
Répondre