Rangée
J’ai rangé ma commode, désormais chaque chose y est à sa place.
À peine ouvert, le premier tiroir exhale une odeur de propre, de lessive et d’adoucissant. Une provision de douce senteur afin de faire face à un avenir malodorant. Rangées par couleur, les plus clairs dessus, c’est l’étage des sous-vêtements, celui de l’art scénique et des belles dentelles. Ces petits dessous que l’on cache tout en les montrant. À gauche, ce sont les grandes prisons, celles de la raison. Ensuite, c'est la danse des petits slips, moins généreux, pour les jours heureux. À droite les soutifs, quatre boîtes à lolo dont une nostalgique où n’entre plus mon avant-scène.
Le second tiroir est différent. Il contient ce que l’on montre ostensiblement. Tee-shirt « de tous les jours », sobres, couleurs ternes et peu salissantes, faciles à laver. À la foire expo, un brave homme m’en a donné un que j’ai porté avec fierté. Avant que l’on ne m'apprenne l’inscription qui ornait mon sein gauche en blanc et en gras « Le choix de la qualité Au bon lait ». Je le porte encore sous un pull qui gratte par exemple. À droite deux piles de tee-shirts plus délicats, dits « du dimanche ». Les couleurs sont chatoyantes, les motifs brodés et colorés, parfois perlés de faux brillants. C’est ici que le paradoxe naît. Le dimanche n’est-il pas un jour ? Le tissu ne se salit-il pas, quelle que soit sa couleur ? Pourquoi le porte-monnaie influe-t-il sur la brillance des choses ?
Le troisième est identique au second à part qu’il est réservé aux sweat-shirts. J'ai séparé, les manches longues, à gauche, les courtes, à droite. Elles sont parfaitement égalitaires : deux piles de trois, le parfait inventaire. Même pas, l’été est bien plus court que l’hiver ce qui prête cette égalité à la controverse. Aussi, j’ouvre le tiroir au-dessous avant l’averse.
Le quatrième, dès son ouverture l’on comprend qu’il n’est pas signe de beau temps. Deux tas de pulls, serrés les uns contre les autres, attestent la saison des frimas. La honte vient après, avec la pile de caleçons longs.
— C’est un sous-vêt de grand-père, elle n’aurait pas dû en parler !
— Pourquoi cela ? Ils sont rangés au bon endroit, non ? J’ai des caleçons molletonnés dans mon tiroir. Et alors ? Je vais vous faire une confidence, un triste aveu : en plus, je les porte !
La toile de jean n’est pas très efficace, le renfort du molleton est irremplaçable pour supporter le froid d’un établissement glacial et inchauffable.
Le dernier tiroir, c’est la boîte à surprises : des chaussettes plus ou moins hautes, voisinent avec deux boîtes de collant, une ceinture et trois pyjamas. Je souris en tripotant l’extrême droite : Bikinirikiki. Pourquoi est-il ici ? Il ne se porte pas avec des chaussettes ni avec une ceinture et pas plus sous, ou sur un pyjama. Bon, il faut bien l’hiverner quelque part. Des objets recueillis, ici ou là, traînent dans le fond. Un petit nounours, un galet peint, offert par Kiki, un aperçu des embâcles de la vie, échoués ici en attendant. En attendant quoi ? On ne jette pas ces trucs-là !
Bon ! ma commode est rangée et n’y cherchez pas d’ADN, vous perdrez votre temps. Là-dedans, il n’y a que des vêtements propres, c’est plus commode.
— Elle est bizarre cette fille : elle ne possède ni pantalon, ni jupe ni robe. Allons, soyez sérieux, si je me baladais le bas nu, vous le sauriez. Ces grands tissus sont des résidents de penderie, pas de tiroirs.
— Elle nous bourre le mou la petite ! Comment s’y retrouve-t-elle dans tout cela ?
Bonne question. En premier lieu il y a des encoches sur les étiquettes selon la couleur et la concordance vestimentaire. Je ne souhaite pas me retrouver bariolée comme un personnage de carnaval. Lorsque j’achète un vêtement j’en tape la description détaillée et je l’imprime en braille sur du papier photo 10x15. Je glisse cette description dans le vêtement. Pour cette raison, mes piles sont inversées, le col est dans le sens d’ouverture du tiroir me facilitant l’accès à la fiche.
Liza
Rangée
- Montparnasse
- Administrateur
- Messages : 4239
- Inscription : 04 janvier 2016, 18:20
- Localisation : Balaruc-les-Bains (34)
- Contact :
Re: Rangée
C'est sacrément organisé tout ça ! Chaque chose à sa place, c'était la règle quand j'ai fait mes classes à l'EDNBC de Caen. Tu es prête à t'engager sous les drapeaux, jeune recrue. Je commente prochainement.
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
Re: Rangée
Maniaque du rangement comme un adjudant de service, tu veux dire. Il lui faut de la rigueur pour qu'elle s'y retrouve.
Le nègre en littérature c'est un blanc qui travaille au noir pour un écrivain marron ! (Popeck)
Re: Rangée
Cette maniaquerie pleine d'humour est irrésistible! Faudra que j'y revienne pour des commentaires plus conséquents:)
Re: Rangée
Merci Dona. Elle est indispensable pour retrouver les choses. Excellent exercice pour les désordonnés, leur faire ranger leur affaires les yeux bandés et insister jusqu’au ce qu'ils retrouvent tout sans les ouvrir !
Re: Rangée
Moi j'y vois surtout un bel exercice de style où la commode n'est qu'un prétexte à une petite introspection qui dresse le portrait du personnage. J'aime beaucoup, c'est savoureux !