J'avais écrit ce texte ( Brain-car ) pour un format d'une page. Il s'agit d'un texte de science-fiction.
Je fais l'essai de l'étoffer, c'est-à-dire d'en faire 8 pages au lieu d'une.
Les difficultés sont nombreuses mais je persévère. Je manque cruellement de connaissances techniques pour ce sujet mais je suis en train de me documenter. Et le plus difficile est de trouver le rythme : alternance de dialogues, soliloques et descriptions)
Quel est le but de ma démarche ?
C'est simple : j'ai envoyé ce texte à deux revues dont les appels à texte correspondaient bien au sujet.
Dans les deux cas, j'ai eu des réponses enthousiastes mais aussi un bémol de taille : "Trop court" !
J'ai téléphoné aux deux types en question : " Trop court ! Texte très intéressant mais on ne peut pas publier ce format ".
Voilà, j'essaie donc une nouvelle expérience d'écriture.

Pour les courageux, je poste 4800 caractères et des brouettes (à peu près quatre pages, la suite viendra plus tard).
Merci pour vos remarques éventuelles. Je suis preneuse de tout conseil, des reproches aussi si vous en avez

Si vous n'avez pas de temps, je comprendrai, je suis moi-même souvent débordée par tout ce qu'il y a à faire

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BRAIN-CAR
Personne n'aurait pensé que c'était possible. Pourtant, c'est vrai.
Il y a un silence écrasant ici. Disons que tout le monde peut se taire au même moment, au même endroit et ça peut durer des heures.
Parfois c'est le contraire. Il y a le bruit des machines, le bruit des ordinateurs, le bruit des instruments électroniques qu'on teste tous les jours, le bruit du personnel qui s'agite dans les laboratoires.
Et puis il y a les bruits humains. Des cris. Des cris déchirant le silence qui règne sur cette grande bâtisse. Je sais pas d'où ça vient mais j'entends. Des cris de gens, des cris de torture, des pleurs de femmes, des pleurs d'enfants, des bruits de bêtes. Des bruits qui crèvent le silence. C'est comme une forêt enneigée, silencieuse et soudain éventrée par une meute de cavaliers qui sonnent l'hallali. J'ai vu ça quelque part en images.
Un enfer sonore. Et je ne peux rien faire. Ni boucher mes oreilles, ni me libérer des chaînes qui emprisonnent mes membres, ni courir, ni secourir, ni fuir.
C'est le matin, je crois.
J'entends des bruits de pas, de conversations, des bruits de clés. C'est le matin quand on entend le bruit des clés.
Il y a des sensations que je n'ai plus. Par exemple, je ne ressens plus le froid. Je n'ai jamais chaud non plus. Je détecte les sons et je vois parfaitement. D'ailleurs, ma capacité visuelle semble être décuplée. Je m'en suis rendu compte parce que la nuit, dans ma cellule, je vois. Même lorsque tout est éteint, je vois.
C'est étrange. J'observe les murs blancs et nus, la fenêtre à barreaux métalliques, mon lit en acier peint, le sol, un dallage marbré de brun, la porte cadenassée. J'aperçois les différentes strates circulaires des couches de peinture au plafond, les minuscules stries qui griffent l'aluminium du peu de meubles disposés ça et là. Pendant des heures entières, je contemple les effets marbrés qui se mêlent au blanc des carreaux, par terre. Je me délecte à scruter ces entrelacs de formes vagues, veinées de brun, fondues dans un camaïeu de blanc. Parfois, j'y vois des insectes, des animaux, des fleurs, des villes même. Mon imagination court, s'amplifie de rêves et de visions : c'est le seul endroit où elle peut s'exercer. Le dallage de ma chambre est devenu la seule évasion possible.
Je ne faisais jamais attention à ce genre de détails avant. Jamais je n'aurais pensé qu'on puisse s'évader autant en observant un revêtement de sol.
Je peux penser des heures. C'est difficile de penser pendant des heures quand on se voit comme ça. J'aurais préféré qu'on m'empêche de penser à tout ce que je n'ai plus. Et puis il y a la souffrance. Mais ça doit faire partie du protocole. C'est pour ça que je préfère regarder le dallage de ma cellule et me mettre à rêver.
— Génome B08-78.
— B08-78. Contrôle.
C'est ça : ils sont là, c'est le matin.
Ça va commencer.
Je n'ai plus jamais faim non plus. Ni soif. Je ne sais pas de quelle manière on me sustente. Je ne peux pas demander, je ne parle plus. Ça m'est arrivé comme ça. Du jour où on m'a enfermé ici, chez Garwdwith, j'ai perdu l'usage de la parole.
Je sais ce qu'ils en train de faire, j'ai l'habitude : ils effectuent les diagnostics du début de la journée. Ils font ça le soir aussi. Je coûte cher.
— Contrôle effectué. Pas de signes émotifs particuliers. Pouls normal. Pression cardiaque, ok. Pompe effective.
— Bien. On y va.
Est-ce pour aujourd'hui ?
J'ai hâte d'en finir.
Comme tous les matins, on m'emmène dans la salle d'essai. Dans les immenses couloirs et comme tous les jours, je croise du regard les échantillons vivants du laboratoire : des gorilles amputés, des dizaines de rats aveugles, bicéphales, tricéphales, des femmes-tronc, des enfants devenus complètement autistes, des robots de l'ancienne génération, obsolètes. Un monde mutique au désarroi visible. Mais ça suinte de peur. Tout signe de rébellion déclenche un châtiment. Tout signe d'émotion nécessite une répression. Que sommes-nous ici ? Rien.
Le portail magnétique écarte ses énormes vantaux. Tout est blindé. Les ondes électriques, le réseau informatique, le champ magnétique pourraient faire exploser une ville entière s'ils entraient en convergence.
— La manipulation du génome B08-78 est opérationnelle Madame..
— Ah ? Très bien ! Testons, testons !
Le génome B08- 78, c'est moi.
Voilà ce que je suis : le prototype le plus performant de la nouvelle expérience des labos Garwdwith, une industrie high-tech, la plus chère du monde.
La Garwdwith, sur ses petits escarpins qui claquent, c'est la directrice, une ancienne politique corrompue qu'on a remisée au placard. Du moins c'est ce qu'on pensait. Son placard, c'est un immense réservoir voué à la science et au progrès.
Personne ne sait ce qu'elle fabrique. Faut être à l'intérieur pour comprendre. Elle a une couverture la Garwdwith : fabrique d'humanoïdes militaires et domestiques au service du Gouvernement. Pour le reste, personne ne sait.